Performeuse et plasticienne, Louise Siffert signe avec We have decided not to die une immersion ludique et colorée donnant corps à des réflexions queer sur l’architecture.
Dans le dossier de presse présentant cette nouvelle édition des Inaccoutumés, il est souligné la singularité, depuis quarante ans maintenant, de la Ménagerie de verre, créée par Marie-Thérèse Allier, décédée en mars 2022. Désormais dirigée par le metteur en scène et scénographe Philippe Quesne, la Ménagerie revendique une programmation « réputée aussi insolite que pointue ». Alors, certes, un dossier de presse communique, donc, applique une stratégie, propose un discours. Pour autant, peu de lieux dédiés au spectacle vivant parviennent ainsi à ne pas démentir (ni trahir) au fil des ans ce qui a fait leur réputation.
Assister à We have decided not to die de Louise Siffert conforte cette conviction. Pour ce qui constitue son premier spectacle (mais qui existe sous deux formes autonomes, spectacle et film), la plasticienne et performeuse se nourrit du travail de Madeline Gins et Shusaku Arakawa. Ce duo d’artistes, poètes et architectes produit à deux ou en solo des tableaux, des textes (poésie comme essais) et des réalisations comme des projets architecturaux (habitations, parcs, etc.). Si ce sont les archives d’un de leur projet architectural – nommé Reversible Destiny Healing Fun House et qui se donne comme une éco-communauté queer – qui inspirent spectacle et film, ce sont, plus largement, l’ensemble des réflexions du binôme qui infusent ce diptyque. Parmi les traits saillants des réflexions de Arakawa et Gins, on peut évoquer le fait de concevoir des architectures nourries d’une pensée post-humaniste, qui remodèle la subjectivité et la place du sujet dans l’espace. Il y a, aussi, le souci d’imaginer que l’architecture œuvre contre la mort, non pas dans le sens d’une immortalité mais dans la capacité à renverser et inverser le destin, soit à échapper aux normes.
Si ces théories peuvent sembler un brin abstraites, elles se déploient dans le spectacle sous une forme balançant entre distance et proximité. L’on y trouve ce qui caractérise le vocabulaire formel de Louise Siffert : des formes douces aux angles arrondis et de couleurs chaudes (changeant volontiers de tonalités au gré de la création lumières) ; un costume pour l’artiste évoquant une sculpture vivante – et résonnant avec l’ensemble de la scénographie par ses couleurs et formes ; une musique douce et entêtante, atmosphérique par ses nappes et ses accents new age ; l’usage de l’anglais (langue accentuant l’aspect poétique du discours et jouant des possibles de l’oralité et de la mélodie).
L’ensemble est éminemment singulier, et pourrait de prime abord dérouter. D’autant que ce que raconte ce personnage accompagné par deux coussins-marionnettes en forme de cœur tisse aux codes du conte des réflexions architecturales sur les espaces. Mais le sentiment de décalage permanent face à une forme qui échappe aux attendus, qui assume son côté bricolé, qui puise dans des références enfantines empreintes de naïveté (la scénographie et le costume sculpture balançant entre les gommettes ou le puzzle pour tout-petits), saisit, intrigue et capte à la fois. Il n’y a ici ni cynisme ni parodie dans le recours à des codes pouvant évoquer par certains aspects (tels la musique et la voix lente savamment modulée) des vidéos de développement personnel. Il s’agit plutôt d’un déplacement de discours dans d’autres espaces, leur entremêlement à d’autres paroles (dont, précise l’artiste, celles de la physicienne quantique queer Karen Barad), permettant d’en révéler la puissance et de les entendre, pour de bon, peut-être.
Loin de tout didactisme, avec humour (un humour peut-être encore plus présent dans la version film de ce projet, qui par la polyphonie de femmes travaille encore plus avant les boucles musicales et langagières) donne à entendre des revendications pour d’autres façons d’envisager les espaces dans lesquels l’on vit. Et la proposition formelle apparaît alors comme une mise en œuvre possible de ce manifeste, ludique et riche. L’ambiguïté suscitée interpelle et invite à se défier de l’uniformité de nos espaces de vies et à ne pas se laisser phagocyter par les architectures intimes – mais bien plutôt à les réinventer.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
WE HAVE DECIDED NOT TO DIE
Conception, interprétation:
Louise Siffert
Dramaturgie et assistanat
mise en scène: Emma Axelroud Bernard
Maquillage, habillage et conseil artistique:
Anna Severina Perrin
Musique: Léo Gobin et Louise Siffert
Scénographie et costumes: Louise Siffert
Construction décor : David Posth-Kohler
Création Lumière: Valentin Bigel
Avec la complicité de: Claire Finch, Anna Severina Perrin, Pauline L.Boulba, Emma Axelroud Bernard, Léo Gobin et Valentin BigelLes Inacoutumés à La Ménagerie de Verre – Paris
du 7 au 9 décembre 2023
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !