Le turbulent metteur en scène propose une lecture brouillonne du chef-d’oeuvre shakespearien, où le chaos scénique, habituellement si fécond, ne fonctionne cette fois qu’a minima.
Qu’il était attendu ce retour de Vincent Macaigne sur les planches. Durant ses six années d’absence, depuis la création de Je suis un pays en 2017, l’artiste semblait s’être irrémédiablement éloigné de l’art dramatique, happé par le cinéma où, de Médecin de nuit d’Élie Wajeman au Sens de la fête du duo Nakache-Toledano, en passant par Les Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait et Chronique d’une liaison passagère d’Emmanuel Mouret, le désormais quadragénaire construit une carrière fondée sur des rôles diamétralement opposés au bruit et à la fureur scéniques auxquels il nous avait habitués. C’était sans compter sur son appétit de théâtre que, du reste, il n’a jamais vraiment quitté en répétant, dit-il, des spectacles qu’il n’a « pas montrés » ou en organisant « régulièrement des ateliers avec des comédiens », conçus comme des « laboratoires d’essai pour de futures créations ». Longtemps, une rumeur insistante lui a prêté l’envie de s’attaquer à La Montagne magique de Thomas Mann – qu’on disait taillée pour la Cour d’honneur du Palais des Papes du Festival d’Avignon –, mais c’est finalement en revenant à Shakespeare, et plus spécifiquement à Richard III, que Macaigne reparaît. À cette annonce, s’allumaient déjà en nous les souvenirs émus de son adaptation impertinente d’Hamlet, Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, qui, en 2011, avait mis le Cloître des Carmes sens dessus-dessous. Las, Avant la terreur n’est, de toute évidence, pas de cette trempe là, et il est peu de dire que les espoirs furent bien vite déçus.
Il ne fallait évidemment pas attendre du metteur en scène qu’il adapte le chef-d’oeuvre shakespearien en bon élève, le doigt sur la couture du pantalon. Comme souvent chez lui, son dernier-né est le résultat d’un assemblage de textes – de son cru, de Shakespeare et d’autres auteurs – qu’il a patiemment découpés, malaxés au plateau avec l’aide de ses comédiennes et comédiens, puis attelés. De Richard III, il est possible de reconnaître les grandes lignes de l’intrigue – celle de la conquête du pouvoir par un meurtrier en série –, mais aussi certains personnages qui entourent le monarque sanguinaire. Si la plupart, comme sa mère, Cécile Neville, son épouse, Lady Anne, son frère sacrifié, Clarence, la reine-mère, Elisabeth, et Lord Hastings agissent en leur nom, et parfois avec une dimension augmentée par rapport à la pièce d’origine, d’autres tels son homme de main, le duc de Buckingham, et son neveu, le prince Édouard, ont été renommés Georges et Andrew, comme s’ils portaient en eux des traces des générations à venir. Car, au-delà des frontières textuelles, Vincent Macaigne se plaît à brouiller les repères temporels, faisant de son Richard un autocrate de son époque autant que de la nôtre, opposé, par exemple, à l’ouverture des frontières autant qu’à la sécurité sociale universelle et partisan des énergies fossiles.
Loin de témoigner d’une réappropriation féconde de l’oeuvre shakespearienne, ce grand maelström, un peu fourre-tout – jusqu’à englober l’intelligence artificielle et les vaccins –, débouche avant tout sur une lecture brouillonne, et faible à bien des égards. Tout se passe comme si Vincent Macaigne était frappé d’un étonnant relativisme qui le pousserait à dédiaboliser Richard, et à lui faire perdre une partie de sa particularité sinon historique, du moins littéraire. Sous sa houlette, le tueur fou devient le pur produit de sa lignée, bâtie à partir de crimes en tous genres pour s’approprier le pouvoir, le fils mal-aimé de sa mère, l’équivalent de ses semblables non-exempts, eux aussi, d’une certaine cruauté, et fait pâle figure à côté des drames contemporains – accidents de la route, bombes nucléaires, nazisme, attentats du 11-septembre, guerres… – qui défilent à l’écran dans un montage vidéo dont il se dit pétri. Parti calculateur hors-pair dans la pièce originelle, Richard est alors relégué au rang de simple idiot, vaguement grotesque, dont on voit mal comment, contrairement aux intentions du metteur en scène, il pourrait être vecteur d’une quelconque « terreur institutionnelle » passée ou présente. D’autant que la majorité des passages textuels se révèlent un peu secs, voire carrément pauvres, vident les personnages de leur substance et empêchent le spectacle de gagner en puissance de feu intellectuelle, mais aussi théâtrale.
Car, à notre plus grand dam, la mécanique scénique de Vincent Macaigne s’est, en six ans, méchamment enrayée. Aux commandes d’un dispositif scénographique toujours aussi monumental, et impressionnant, le metteur en scène recycle la grammaire qui a fait son succès, et sa spécificité, à base de voix tonitruantes, de destructions, de tentatives de fête et de fluides en tous genres – eau, boue, faux sang, liquide douteux… –, mais, loin de critiquer ce qui a été encensé hier, et de brûler les idoles, force est de constater que les mêmes instruments ne produisent plus tout à fait les mêmes effets. Peinant à générer une réelle dynamique, l’essentiel paraît, au-delà de quelques jolies images empreintes de mélancolie, avoir lieu au forceps, ne pas procéder d’une réelle nécessité et, contrairement aux spectacles précédents, ne pas venir des tripes d’un artiste qui s’est, peut-être, lui-même lassé de ses propres frasques et semble avoir une approche moins pulsionnelle du plateau. Armés de ces leviers tristement brisés, les comédiennes et les comédiens ne s’économisent jamais, mais apparaissent alors, exception faite de Candice Bouchet, puissante en mère tutélaire, un peu livrés à eux-mêmes et incapables, face à une salle largement atone au soir de la première, de mobiliser les foules et de renverser la vapeur.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Avant la terreur
D’après Shakespeare et autres textes
Écriture, mise en scène, conception visuelle et scénographique Vincent Macaigne
Avec Sharif Andoura, Max Baissette de Malglaive, Candice Bouchet, Thibault Lacroix, Clara Lama Schmit, Pauline Lorillard, Pascal Rénéric, Sofia Teillet, et, en alternance, Camille Ametis, Clémentine Boucher, Lilwen Bourse
Assistanat à la mise en scène Clara Lama Schmit
Lumière Kelig Le Bars
Accessoires et régie générale adjointe Lucie Basclet
Conception vidéo Noé Mercklé-Detrez, Typhaine Steiner
Conception son Sylvain Jacques, Loïc Le Roux
Costumes Camille Aït Allouache
Régie générale François Aubry dit « Moustache », Sébastien Mathé
Collaboration scénographique Carlo Biggioggero, Sébastien Mathé
Assistance création et régie lumière Edith Biscaro
Régie accessoires Manuia Faucon
Régie plateau Tanguy Louesdon
Régie vidéo Laurent Radanovic, Stéphane Rimasauskas
Stagiaires à la mise en scène Noémie Guille, Nathanaël Ruetschman
Stagiaire aux accessoires Anna Letiembre-BaësProduction MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis ; Compagnie Friche 22.66
Coproduction TNB Théâtre national de Bretagne ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; TANDEM – Scène nationale Douai-Arras ; Bonlieu – Scène nationale d’Annecy ; Festival d’Automne à Paris ; La Colline – théâtre national ; Les Célestins, Théâtre de Lyon ; Le Quartz – Scène nationale de Brest ; Domaine d’O Montpellier – Cité européenne du théâtre ; Théâtre de Liège
Remerciement à La Commune – CDN d’Aubervilliers
Avec le financement de la région Île-de-FranceDurée : 2h15
MC93 Bobigny, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 5 au 15 octobre 2023Tandem, Scène nationale Douai-Arras
du 7 au 9 novembreBonlieu, Scène nationale d’Annecy
les 16 et 17 novembreThéâtre national de Bretagne, Rennes
du 22 au 25 novembreLe Quartz, Scène nationale de Brest
les 11 et 12 avril 2024Théâtre Vidy-Lausanne
du 19 au 21 avrilLes Théâtres de la Ville de Luxembourg
les 9 et 10 maiLes Célestins, Lyon
du 16 au 23 maiLa Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale
les 29 et 30 maiLa Colline, Paris
du 15 au 27 juin
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