Créé en 2015 et n’ayant cessé de tourner depuis, le spectacle du Collectif Mensuel dépasse l’exercice de style pour livrer une réflexion percutante et intelligente sur ces produits de l’industrie culturelle mainstream.
Comme le signalent en introduction les artistes du Collectif Mensuel, Blockbuster date de 2015. « Contrairement à ce que l’on pourrait croire », précisent-ils. Et il est vrai que, précédant des mouvements comme Nuit debout ou les Gilets jaunes, ou, plus près de nous, les manifestations contre la réforme des retraites ou les révoltes à la suite de l’assassinat du jeune Nahel tué par un policier, cette création en forme d’insurrection populaire n’a pas pris une ride. Mieux, à travers un mashup de films, et en déployant une parodie aussi habile que cocasse, le spectacle réinvente d’autres récits autant qu’il met le doigt sur ceux, majoritaires, véhiculés par l’industrie cinématographique.
Sur une scène, où trônent deux estrades – l’une à jardin et l’autre à cour – envahies d’instruments de musique et d’autres objets parfois très banals permettant tout le travail de bruitage à venir, les artistes nous attendent. Tandis que le trio d’acteurs Sandrine Bergot, Baptiste Isaia et Xavier Foucher – fondateurs pour les deux premiers avec Renaud Riga du Collectif Mensuel – occuperont le côté jardin de la scène, les deux musiciens investiront, eux, l’estrade située côté cour. Mais, avant de prendre place, les cinq interprètes proposent au public de se prêter à des enregistrements sonores – applaudissements et slogans. Ces éléments, qui viendront compléter la bande son du film à venir, révèlent un ressort dramaturgique au potentiel comique et réflexif : celui de la répétition et de l’accumulation .
Car, pour raconter l’histoire de Blockbuster, le Collectif Mensuel compile 1 400 plans issus de 160 films. Majoritairement constitué de blockbusters américains des années 1990, ce corpus mêle, par exemple, des extraits d’Erin Brockovich, Rambo ou encore Fight Club. L’ensemble devient le matériau d’adaptation très libre d’un roman (Invisibles et remuants) de Romain Ancion. Dans cette version de l’histoire, nous suivons Mortier, grand patron extrêmement influent, et la journaliste d’investigation Corinne Lagneau. Le premier va autant tenter d’enrayer l’instauration d’une taxe sur les hauts revenus que vouloir neutraliser la journaliste dont les articles mettent en péril un système d’abus financiers.
Autour de ces personnages, d’autres naviguent comme des figures politiques, des chefs d’entreprise, un responsable de la rédaction ou, encore, un tueur à gages. Agrégeant volontairement tous les motifs narratifs des films d’action hollywoodiens, Blockbuster travaille à démonter leur mécanique. En procédant à la sonorisation – des voix, des bruits, des musiques – en direct de l’histoire, les cinq artistes font bien plus que livrer un ciné-concert à l’interprétation extrêmement bien réglée. Le mashup et la création sonore live produisent un décalage et un dérèglement pertinent. Outre l’efficacité comique immédiate que génère cette parodie soigneusement construite, l’accumulation et la répétition de séquences – qu’il s’agisse de bagarres, de courses de voiture, d’affrontements entre des personnes de pouvoir – permettent de dépasser la simple mise en récit ironique de cette « fable insurrectionnelle ». Cette fable manichéenne tend, d’ailleurs, un peu à passer au second plan pour révéler une critique du blockbuster en tant que produit majoritaire des industries culturelles.
Si l’on rit, l’on regarde aussi la façon dont les foules sont filmées, dont les personnes de pouvoir sont représentées – il s’agira majoritairement d’hommes cis blancs de plus de cinquante ans –, dont les révoltes sont représentées, dont les femmes sont regardées à travers un male gaze. C’est dans cette mise au jour incisive des modèles et des représentations que se niche la part la plus stimulante de Blockbuster. Et si ces films des années 1990 ont vieilli en ce qu’ils se désintéressent des questions de représentation des minorités – enjeux plus intégrés, ou plutôt digérés, par Hollywood aujourd’hui – ils rappellent la permanence, la persistance de récits. Ou comment le mainstream des blockbusters agit comme un outil culturel de l’impérialisme américain, en diffusant des valeurs – compétition, rapports de pouvoir, absence de l’importance du collectif, etc. –, des représentations et des narrations au détriment d’autres. Si les séquences finales du spectacle – la clôture du film et les prises de paroles des interprètes – écrasent un peu l’ensemble avec un propos un brin trop bien-pensant, Blockbuster invite néanmoins avec maîtrise à œuvrer pour l’écriture et la diffusion d’autres récits, plus engagés et inclusifs.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Blockbuster
Écriture Nicolas Ancion / Collectif Mensuel
Conception et mise en scène Collectif Mensuel
Avec Sandrine Bergot, Xavier Foucher, Quentin Halloy, Baptiste Isaia, Philippe Lecrenier
Assistanat Edith Bertholet
Vidéo et montage Juliette Achard
Scénographie Claudine Maus
Création éclairage et direction technique Manu Deck
Régie vidéo et lumières Lionel Malherbe
Créateur sonore Matthew Higuet
Coach bruitage Céline BernardProduction Cie Pi 3,14
Coproduction Théâtre de Liège, Théâtre National – Bruxelles
Avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles – Service Théâtre
En partenariat avec Arsenic 2
Librement inspiré du roman de Nicolas Ancion Invisibles et remuants – Editions maelstrÖm reEvolutionDurée : 1h20
Festival Off d’Avignon 2023
La Manufacture
du 7 au 24 juillet, à 17h25 (relâche les 12 et 19)Théâtre du Jorat, Mézières, Suisse
les 26 et 27 aoûtHalle aux Grains, Scène Nationale de Blois
le 15 septembreLa Ferme de Martinrou, Fleurus, Belgique
du 26 au 29 septembreThéâtre de Poche, Bruxelles
du 12 décembre au 22 décembre
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