Ancienne base, nouveau spectacle, Le Nouvel Homme fait suite à L’Homme au crâne rasé et, sous couvert de retrouvailles désinvoltes entre deux anciens amants, brasse des enjeux de langage, de perception et d’opinion vertigineux. Peter et Natali se rencontrent dans un aéroport et se racontent à nous. A moins qu’ils ne se jouent entre eux la comédie qu’elle joue pour un autre et qu’ils jouent pour nous dans une triangulation trouble.
Ce sont des retrouvailles à plusieurs niveaux. Le Théâtre de la Bastille (nouvellement dirigé par Claire Dupont) ouvre sa saison avec le Collectif anversois DE HOE – anciennement nommé De K0E, familier des lieux et de son public d’habitués. Et cette continuité artistique, ce compagnonnage au long cours, affirment la volonté de s’inscrire dans l’héritage d’une programmation contemporaine tissée de fidélités et de liens forts avec des compagnies belges qui ont contribué à changer le visage du théâtre hexagonal ces vingt dernières années (le TG Stan, d’ailleurs proche de la compagnie De HOE, en tête de gondole évidemment). De plus, le spectacle présenté, s’il peut se voir sans souci de compréhension indépendamment du précédent, constitue la suite, avec ellipse temporelle, de L’Homme au crâne rasé, présenté dans cette même salle en 2014. Le sujet général en est le même, les interprètes aussi.
Un air de déjà vu plane sur ce décor de tables de restaurant, à peu de choses près le même. Dix ans ont passé d’une pièce à l’autre. Vingt ans ont passé dans la vie de cet ancien couple. Car Le Nouvel Homme orchestre à nouveau les retrouvailles inattendues de deux anciens amants, Peter et Natali, qui malgré les années écoulées et la distance, ont encore beaucoup à se dire. C’est un peu comme si ces deux là n’avaient pas fini d’écouler le stock de dialogue possible entre eux, pas encore fait le deuil de leur histoire, au point de prendre un malin plaisir à la raviver, exhumer souvenirs et anecdotes partagées, dans une complicité évidente. Jusqu’à ce qu’une révélation (qui n’en est pas vraiment une) entaille les rapports et engage la conversation sur un terrain politique imprévu. La situation est donc identique au premier volet mais la teneur de la discussion a changé, le temps a fait son œuvre dans le parcours de vie des personnages et l’époque n’est plus la même. Ce qui a changé aussi c’est l’origine de la pièce. Si L’Homme au crâne rasé prenait sa source dans un roman de Johan Daisne dont le spectacle était librement inspiré, Le Nouvel Homme a été écrit par ses deux interprètes, Peter Van den Eede et Natali Broods, sur une initiative de Willem de Wolf, membre du collectif.
Reprise et continuité sont donc à l’ordre du jour de ce spectacle d’ouverture. Répétition d’une situation identique mais déplacée dans le temps, le principe reste le même, les interprètes (magnétiques et sur le fil) cultivent un certain flou avec leurs personnages qui portent leurs prénoms et avec le public qui ne disparaît pas derrière un quatrième mur illusoire. La rencontre commence dans le noir, sas d’invisibilité avant l’entrée dans la lumière et dans l’arène de la scène, et les premiers mots échangés sur cet ersatz de scénographie rescapée du précédent opus concernent la question du regard justement. Est-ce une œuvre d’art ? Et si oui, une installation ou une performance ? Faut-il inclure dans l’image la présence des deux protagonistes ? Cette ambiguïté posée d’emblée annonce le régime de la représentation à venir : le vertige du vrai et de la vue. Apparences et faux semblants, authenticité ou copie, fiction ou réalité, la pièce déroule, sur un ton faussement badin, un enchaînement de remises en question du vécu, multiplie les angles d’approche, ajoute un tiers observateur au duo, envoie valser toute neutralité de point de vue. Comme une mise à l’épreuve de notre perception. Comme pour mieux déjouer nos projections. Faire valser croyances et certitudes. Ce qui est crédible n’est pas forcément vrai et vice versa. S’il pêche par l’étirement un peu complaisant de certains dialogues, Le Nouvel Homme n’en est pas moins une expérience troublante de vacillement de la vérité.
Le langage y est central puisqu’il est le support de la pensée en mouvement, son sous texte, ses formules toutes faites, et quand il passe du langage amoureux au langage politique, le hiatus est flagrant, les mots se désincarnent, le discours se mue en stéréotype aberrant, en arme de communication froide et le spectacle bascule dans une autre dimension, il glisse d’un coup vers une réalité inquiétante et de léger et joueur, génère une crispation dans l’air. Les artifices de la séduction envahissent tous les rapports en jeu, entre eux et avec le public qui, de témoin voyeur, devient électorat potentiel à convaincre. Mais le désir ne connaît pas de camp politique, il perturbe la donne et questionne. Un homme de gauche peut-il désirer une femme d’extrême droite et vice versa ? Tous les livres ont-ils le même poids sur un ebook ? Oui pour la main qui le porte mais dans la vie des idées, toutes les pensées ne se ressemblent pas, ne se valent pas et le pire nous guette. A nous de le déjouer.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Le Nouvel Homme, suite de L’Homme au crâne rasé (juin 2014 au Théâtre de la Bastille), peut être découvert sans avoir vu le précédent spectacle.
Le Nouvel Homme
Texte Peter Van den Eede, Natali Broods et Willem de Wolf
Avec Natali Broods, Peter Van den Eede et Nico Sturm
Régie et son Bram De Vreese et Shane Van Laer
Traductrice et coach linguistique Martine BomProduction DE HOE
Coproduction Het Laatste Bedrijf
Avec le soutien des Autorités Fédérales Belges
Administration Elisabeth Michiels
Diffusion internationale Séverine WindelsDurée 1h30
Théâtre de la Bastille
du 14 au 29 septembre 2023
20h30,
18h30 les samedis
relâche les dimanchesThéâtre la Vignette Montpellier
10 et 11 octobre 2023Théâtre de Nîmes Nîmes
12 et 13 octobre 2023Bois de l’Aune Théâtre Aix-en-Provence
7 et 8 novembre 2023
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