Jouée jusqu’au 29 juillet au théâtre Le Petit Louvre, la nouvelle de Stefan Zweig adaptée et incarnée par Anne Martinet ravive sur scène les affres d’une étrange rencontre
Ses yeux bleus s’échappent de l’obscurité et viennent percer les regards de l’assemblée. Gare à celui ou celle qui serait distrait car Anne Martinet délivre avec force les mots tranchants de son personnage. H24. 24 heures de la vie d’une femme porte avec grâce et acuité la sublime langue de Stefan Zweig (1881-1942), ici adaptée en monologue par Anne Martinet elle-même, également comédienne, donc, de ce seule-en-scène saisissant. Dirigée par Juan Crespillo, l’actrice formée au Théâtre national de Strasbourg (TNS) distille juste ce qu’il faut pour émouvoir et nous faire plonger tête la première dans cette histoire d’amour romanesque.
Sur le plateau, le décor est épuré : une chaise et un banc en fer forgé blanc, laissant ainsi toute sa place aux mots et à l’interprétation d’Anne Martinet. La comédienne se glisse tout entière dans les habits de Madame C, cette aristocrate écossaise qui mène une existence languissante, amputée du souffle de l’amour depuis la mort de son mari. Un soir, l’élégante femme se rend au casino de Monte-Carlo, où le hasard jette sur sa route un joueur au magnétisme irrésistible. L’homme est beau. Et son charme opère immédiatement sur la veuve. La rencontre entre les deux êtres ne durera que 24 heures mais marquera pour des années la vie de Madame C.
Ici transformée en monologue, la nouvelle de Stefan Zweig est délestée d’une époque trop marquée, nonobstant le trench coat beige et l’enceinte portable présents sur scène. L’heure est à l’universel pour Madame C, qui déplie face au public les grandes lignes de son existence et le récit de ces 24 heures tourmentées. Le ton est empreint de nostalgie, celle d’un échec : Madame C aurait tant aimé sauver cet homme dévoré par l’addiction au jeu… Ses multiples tentatives n’y pourront rien.
Sans faillir, Anne Martinet maîtrise de long en long l’art du suspens et dessine mot après mot le panorama de ce destin avorté. Il faut saluer (et redire) son impeccable incarnation, tout comme le travail sur la lumière, qui révèle avec justesse les émotions de son personnage. Les mains y sont aussi pour beaucoup. Elles endossent tantôt la carrure du joueur de casino, décrivant tout en délicatesse les gestes de l’homme ; et forment à d’autres moments la traduction bouleversante de la part indicible du récit de Madame C.
Comme le personnage principal, le public éprouve l’intensité de cette rencontre où la violence n’est jamais loin. « Il est insupportable de rester fixée sur un seul moment de son existence », livre Madame C. Revenir sur cette entrevue constitue pour elle une épreuve, mais aussi le moyen salvateur de se libérer des affres de ce souvenir quasi-traumatique. Les spectateurs sont les témoins et le réceptacle de cette douleur portée à nue par le visage hypnotisant d’Anne Martinet. Loin d’anéantir la puissance du texte de Stefan Zweig, H24. 24 heures de la vie d’une femme en transmet la pleine intensité, pariant avec brio sur la force vive du théâtre…
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
H24
24 heures de la vie d’une Femme
d’après Stefan Zweig
Adaptation et jeu : Anne Martinet
Mise en scène : Juan CrespilloProduction: Compagnie Le Phénix, Fondation Jan Michalski, donations privées
Durée 1h
Off Avignon 2023
Au Théâtre Le Petit Louvre
23 rue St Agricole
du 7 au 29 juillet à 21H25
relâche les 12, 19 et 26 juillet
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