Chronique d’une liaison passagère entre Marilyn Monroe et Yves Montand alors en couple avec Simone Signoret, la pièce dépasse sa simple situation de boulevard pour dresser le portrait de deux femmes aussi mythiques qu’antithétiques, campées avec passion par Emmanuelle et Mathilde Seigner, entre forces et fêlures, au Théâtre de la Madeleine.
Le décor est celui d’une classieuse suite au Beverly Hills Hotel de Los Angeles. En enfilade : un salon cossu, une cuisine aménagée et la chambre à coucher. Y loge le couple formé par Simone Signoret et Yves Montand, très aimant, gorgés de vie, tandis que, dans le bungalow voisin, se trouvent Marilyn Monroe et son époux, au bord de la rupture. En effet, le dramaturge Arthur Miller décide de délaisser l’actrice par dépit de ne pas savoir l’aimer et la protéger comme il le voudrait.
Nous sommes au début des années 1960, à quelques lieux du plateau de tournage où se déroule, dans une atmosphère particulièrement électrique, la mise en boîte de Let’s make love (Le Milliardaire). Le film réunit la star américaine Marilyn Monroe et le jeune interprète français qui vient d’achever un triomphal tour de chant et entame nerveusement sa carrière internationale. Tout juste oscarisée, Simone Signoret quitte les États-Unis pour prendre la route de l’Italie. Montand reste seul. D’abord excédé par les caprices et les retards réitérés de sa partenaire de jeu à l’écran, celui-ci finit par totalement succomber à ses charmes.
Emmanuelle Seigner, dont la dernière apparition au théâtre remonte au Retour de Pinter dans la mise en scène de Luc Bondy (2012), et Mathilde Seigner, plus largement connue au cinéma, sont sœurs dans la vie et comédiennes réunies pour la première fois en scène. Sans chercher à imiter les figures légendaires qu’elles incarnent mais en cultivant ce qu’il faut de distance et d’empathie, elles trouvent la justesse et la liberté nécessaires pour jouer leur personnage, autant ce qu’elles sont que ce qu’elles représentent, sans donc renoncer à tous les fantasmes, les projections imaginaires et les clichés qui leur collent à la peau.
Emmanuelle Seigner fait vivre une Marilyn toute pimpante, totalement désinhibée, aussi bien ivre de sensuelle frivolité qu’empreinte de gravité. Mathilde Seigner fait de Simone Signoret son exact contraire : au glamour de l’une répond l’intellectualisme profond, l’engagement culturel et politique d’une femme brillante, cultivée, parfaitement recte, et bouleversante lorsqu’elle se sait trompée. Au centre de ce duo à la fois uni et conflictuel, Michaël Cohen prête un certain charme et autant de bouillonnement à un Montand séducteur.
Cette liaison adultère qui n’a pas manqué de faire scandale dans la presse française et outre-Atlantique, n’est pas le seul sujet de la pièce. Il s’agit plus largement d’interroger les thèmes du désir, du besoin et du manque d’amour, de laisser s’exprimer les fragilités inhérentes à des figures adulées ou méprisées, et sonder leurs aspirations contrariées. Il est aussi question du sens de la vie, du temps qui passe, et qui rend insatisfait. Ce sont autant de sujets déployés d’une manière élégante, parfois un peu évasive, par le texte d’Eric-Emmanuel Schmitt comme par la mise en scène de Jérémie Lippmann qui, l’un et l’autre, ne surjouent pas du tout la carte sensationnaliste du feuilleton amoureux, mais plutôt pénètrent, à pas feutrés, dans l’inquiétude existentielle qui peut mener au destin tragique. Le plateau de théâtre se trouve alors nimbé d’un érotisme latent, d’autant de légèreté que de gravité, de passion que d’émotion.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Bungalow 21
De Eric-Emmanuel Schmitt, sur une idée originale de Benjamin Castaldi
Mise en scène de Jérémie Lippmann
Avec Emmanuelle et Mathilde Seigner, Michaël Cohen, Vincent Winterhalter, Clément Moreau, Benjamin Jaouen
Durée : 1h30Théâtre de la Madeleine
À partir du 14 septembre 2023
Du mercredi au samedi à 21h
Matinée le samedi à 16h
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