En Occitanie, le directeur du théâtre de l’Albarède, Frédéric Stein a été évincé à la suite d’un désaccord qui l’oppose au président de la communauté de communes et maire de Ganges Michel Fratissier.
Printemps 2023 : le torchon brûle entre les élus et les directeurs de théâtre. Pour avoir dénoncé la politique culturelle autoritaire de la région Auvergne-Rhône-Alpes présidée par Laurent Wauquiez, Joris Mathieu, le patron du Théâtre Nouvelle Génération (TNG) à Lyon, s’est vu annuler sa subvention annuelle de 149 000 euros. Du jour au lendemain. Brutale, électoraliste, vindicative, arbitraire… Dans le milieu, les adjectifs se bousculent pour qualifier cette décision qui illustre la mise au pas des directeurs d’établissements, en particulier à la mi-mandat des élus.
En Occitanie, une affaire de moindre ampleur mais toute aussi significative s’y déroule au même moment. À Ganges, une commune de 4 000 habitants située dans le nord-est de l’Hérault, le directeur du théâtre de l’Albarède Frédéric Stein quittera ses fonctions dans trois mois, à la suite d’un désaccord qui l’oppose au président de la communauté de communes et maire de Ganges Michel Fratissier, proche du parti présidentiel Renaissance. Pour l’heure, Frédéric Stein est en arrêt maladie et ne devrait pas remettre les pieds dans ce théâtre qu’il dirige depuis dix ans. « Le ciel m’est tombé sur la tête, explique ce dernier, manifestement très affecté. Dire que j’ai été secoué serait un doux euphémisme. » Frédéric Stein a accepté de raconter « sa version des faits » en présence de Laurence Raoul, directrice déléguée du syndicat national des scènes publiques ; soumis au devoir de réserve, les fonctionnaires doivent choisir leurs mots prudemment, sous réserve de sanctions.
À Ganges, tout commence à la fin de l’année 2022, quand Frédéric Stein est contacté par la DRAC, la direction régionale des affaires culturelles. « Ils m’expliquent qu’ils disposent d’une queue de crédit pour élaborer un projet territorial autour du sujet ‘culture, ruralité, précarité’, retrace Frédéric Stein. À moi de proposer une idée… Je réfléchis, et me rapproche du groupe Cévennes, une association qui travaille sur l’insertion des migrants. Je propose à la DRAC d’élargir le sujet de la précarité à celui des exilés, parce que cela me semble pertinent, étant donné le contexte politique que nous traversons. » C’est ainsi que nait le projet « Les Nomades qui font le monde », dont l’objectif est de lutter contre l’isolement et favoriser l’alphabétisation, au fil d’ateliers, de rencontres, de repas et d’une série de représentations ouvertes à tous publics, avec, en point d’orgue, un spectacle signé Didier Gallas, Ahmed revient d’Alain Badiou, créé pour le festival IN d’Avignon en 2018.
« Tout le monde était content, se souvient le directeur. Nous avions un beau projet qui tenait la route… » Jusqu’à ce que celui-ci revienne aux oreilles de Michel Fratissier, le président de la communauté de communes, dont dépend le théâtre de l’Albarède. Convoqué, Frédéric Stein se rend au bureau de l’élu le 28 mars, sans se douter de ce qui l’attend. « On me reproche de ne pas avoir tenu le président au courant ; une ‘faute lourde’, selon eux. Le projet dans sa globalisé. Et l’on me fait comprendre que je dois partir. » Frédéric Stein avait posé sa démission du théâtre de l’Albarède en 2022. Laquelle a été refusée. Il s’était résolu à passer la main à l’été 2024. La passation aura donc lieu un an plus tôt. Au terme de leur entretien, le président de la communauté de communes lui lance : « Je ne m’oppose plus à ta démission ». « Pris de cours et sonné, je ne sais que répondre, poursuit Frédéric Stein. Et je finis par dire : d’accord… » Le lendemain, ce dernier reçoit un mail résumant le déroulé de l’entretien : le directeur a demandé sa démission. Celle-ci a été acceptée. Fin de l’histoire.
De son côté, Michel Fratissier fait valoir son rôle et ses prérogatives : « Je n’ai jamais contesté la programmation artistique du théâtre de l’Albarède, avance l’élu. Je n’ai pas à le faire. Et je sais que Frédéric Stein est tout à fait compétent pour y arriver. En revanche, il est de mon devoir d’orienter les projets culturels sur le territoire. Les migrants sont bien encadrés à Ganges. Nous vivons dans une commune rurale, et je préfère concentrer nos efforts pour capter un public potentiel en déshérence culturelle. Aucune discussion n’était possible avec Frédéric Stein. Son successeur, ou successeure, aura la tâche d’aiguiller notre politique culturelle en adéquation avec la réalité de nos administrés. Un théâtre n’a pas à fonctionner de façon autonome, ça n’a pas de sens… » Frédéric Stein oppose son bilan : un taux de fréquentation « qui frise l’excellence », malgré une communication municipale quasi-inexistante.
« De notre point de vue, il s’agit d’un déni de démocratie, souligne Laurence Raoul, directrice déléguée du syndicat national des scènes publiques. Il y a la brutalité de la manière. Il y a l’absence de communication, de concertation, et de recherche de tout compromis… » Une pétition pour le soutien de Frédéric Stein, portée par Didier Gallas, a déjà recueilli 2 500 signatures. « Le problème des difficultés entre les directeurs et les élus ne date pas d’hier, note Véronique Lécullée, vice-présidente du SNSP. Mais il se développe. Les politiques, de façon générale, préfèrent flécher les fonds publics vers des productions issues du privé. Ils misent sur le stand-up, le divertissement pur, le low cost… Le manque d’ambition est assez frappant. » À Ganges, Frédéric Stein se dit prêt à revenir au théâtre de l’Albarède, pour terminer sa mission. Mais pour les élus, le dossier semble clos.
Igor Hansen-Love – Sceneweb.fr
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