Le danseur et chorégraphe Benjamin Millepied et le pianiste Alexandre Tharaud se rencontrent au sommet de leur art, à la cinquantaine. Dans Unstill Life, créé aux Nuits de Fourvière à Lyon, sur des musiques de Bach, Rameau, Beethoven, Schubert et Satie, ils livrent un spectacle intime et touchant, qui nous fait retomber en enfance.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de danser à nouveau ?
Benjamin Millepied : Cela faisait longtemps, treize ans, que je n’étais pas monté sur scène de manière vraiment impliqué comme ça. Pendant toutes ces années, je n’ai pas ressenti de manque, mais, finalement, je me suis dit que j’avais envie de danser à nouveau avant de ne plus pouvoir le faire. J’avais aussi besoin d’exprimer des choses sur le plateau et de revenir tout simplement à ce qui fait la passion de ma vie. Et puis, il y avait ce désir de faire un spectacle avec Alexandre. C’est un artiste qui m’a toujours énormément touché, qui possède en lui une certaine poésie.
Alexandre Tharaud : On avait envie de collaborer ensemble, mais, à l’époque, Benjamin était directeur du Ballet de l’Opéra de Paris et cela ne s’est pas fait. On est resté en contact et il avait cette envie de revenir sur scène, alors il m’a appelé. J’ai évidemment trouvé l’idée merveilleuse. J’avais envie de l’accompagner, de l’enrober, de le porter avec la musique de Beethoven, Rameau, Bach. Autant de compositeurs qui lui sont chers parce qu’il était pianiste, au départ, lorsqu’il était adolescent, et c’est le métier qu’il souhaitait faire.
BM : C’est vrai que ce spectacle reflète aussi l’amour de ces chefs-d’œuvre de la musique, de Rameau aux pièces de Satie, Schubert, Bach. On rend également un petit hommage à Glenn Gould avec la partita n°2 de Bach, qui est un chef-d’œuvre. Il y a aussi cette pièce totalement magistrale, la dernière sonate de Beethoven, qui est incroyable parce que c’est une pièce d’une telle liberté, tellement passionnelle, qui parle de renaissance. On dit qu’elle sonne comme l’arrivée vers la mort, mais c’est surtout d’une joie absolument inouïe, et je voulais aussi transmettre ces moments-là dans cette sonate.
Benjamin Millepied vient d’évoquer Glenn Gould. D’ailleurs, vous venez sur scène avec l’un de vos 33 tours qui constitue son premier enregistrement à la CBS…
AT : C’est une très belle idée de Benjamin d’avoir fait intervenir le son du 33 tours qui nous est cher à tous les deux. Ça m’émeut au plus haut point d’entendre ce son. Peut-être parce que cela me ramène à la période où je découvrais la musique en grande partie à travers les disques.
C’est d’ailleurs un spectacle qui vous ramène en enfance…
AT : Je trouve que Benjamin est resté un enfant avec ses yeux bleus écarquillés et qu’il n’a perdu aucun de ses rêves. Je me sens très vieux à côté. Lui, il sautille sur scène ; or, le sautillement, c’est quelque chose qu’on ne fait plus à partir de quinze ans.
BM : En fait, tout le monde danse quand il est petit car la danse c’est l’expression de la vie et c’est ce qui donne énormément de plaisir.
Le spectacle est aussi un document sur vos vies. On vous voit l’un et l’autre dans des vidéos, lorsque vous étiez enfant. À quoi correspondent ces moments ?
BM : C’est un spectacle que j’avais fait quand j’étais à Bordeaux avec une chorégraphe professeure qui avait une école de danse d’un très haut niveau. Et c’est l’une des seules archives qui me reste de cet âge-là.
AT : Pour ma part, c’est un concert pour France 3. Je crois que j’ai neuf ans. On a retrouvé ces images que je n’avais pas vues depuis des années. Elles sont projetées en miroir avec celles de Benjamin qui, lui, danse au même âge de manière incroyable. C’était vraiment un danseur né, et heureusement qu’il est revenu sur scène. Cela fait plaisir au public de le revoir danser.
Et si vous n’aviez pas été pianiste, vous auriez rêvé d’être danseur ?
AT : Oui, mais je n’étais absolument pas doué. Je tournais, mais tout le reste n’allait pas ! Je n’avais pas du tout le corps qu’il fallait pour endosser cette carrière. J’ai arrêté très vite et le piano m’a tendu les bras. C’était mon vrai ami, celui qui me parlait avec bienveillance. Et puis, à l’adolescence, c’est devenu mon confident, celui à qui je racontais tout et qui me le rendait bien. C’était mon jardin secret. Il m’a choisi et je l’ai choisi.
Et pour la première fois, Benjamin Millepied vous fait danser sur scène !
AT : Oui, et ce n’était pas facile au départ ! J’avais demandé à Benjamin de pouvoir occuper l’espace parce que je passe ma vie devant un clavier d’1m50 de large. J’ai toujours cette envie de bouger, et donc il me fait danser. Je réalise un rêve.
C’est un spectacle qui parle aussi du corps qui vieillit, à un moment charnière de votre vie…
MM : J’ai essayé de chorégraphier le corps en trouvant une justesse pour les œuvres. A tous les moments de la vie, on peut danser. Quand on voit des danseurs de 60-70 ans qui retrouvent une grâce et une jeunesse en dansant, c’est formidable. C’est la magie de la danse, la magie du ballet.
AT : Le corps est le point de départ du spectacle. Qu’est-ce que l’on fait de ce corps entre 45 et 50 ans ? C’est un basculement pour le danseur car c’est le moment où, normalement, on arrête de danser. Pour le pianiste, c’est aussi un moment de bascule car il y a des choses techniques qu’on ne peut plus faire. C’est le moment de se réinventer, d’aller de l’avant, de se poser des questions. Et puis le son du pianiste, en général, se bonifie avec le temps. Un peu comme un bon vin de Bordeaux. Vous savez, les os se rétrécissent ou s’allongent, les muscles changent. Notre corps bouge et donc le son bouge aussi. C’est très intéressant d’écouter son corps tout au long de sa vie.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Unstill LIfe
Chorégraphie, danse : Benjamin Millepied
Piano : Alexandre Tharaud
Co-production : L.A Dance Project & Nuits de Fourvière
Collaboration artistique : Olivier Simola
Dramaturge : Loïc Barrère
Costumes : Camille Assaf
Conception lumière : TBD
Musique : TBD Bach, Beethoven, Schubert, Ravel, Rameau
Avec le soutien de Van Cleef & ArpelsL.A Dance Project
Directrice exécutive : Lucinda Lent
Directeur des productions : Nathan Shreeve-Moon
Directrice de la communication : Alice Mathis
Une production L.A. Dance Project présentée par Les Visiteurs du SoirDu 13 au 15 juin 2023 – Les Nuits de Fourvière, création | Lyon
24 et 25 juin 2023 – Festival de Spoleto | Spoleto, Italie
02 juillet 2023 – Théâtre Jean-Deschamps, Festival de Carcassonne
Du 06 au 08 juillet 2023 – Théâtre des Champs-Élysées | Paris
09 avril 2024 – LA Phil | Los Angeles, États-Unis
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