Dans le cadre du Printemps du TDI, temps fort organisé par le Théâtre à Durée Indéterminée aux Plateaux Sauvages, AG Compagnie présentait Illusion Comique, une forme originale et participative inspirée par les teen movies américains autant que par la pièce éponyme de Corneille. Un projet immersif mené avec un allant certain, idéal pour un public adolescent, cible, tant sur la forme que sur le fond, de ce spectacle enjoué et intelligent.
Le TDI ou Théâtre à Durée Indéterminée a été créé il y a cinq ans par le collectif artistique et pluridisciplinaire Curry Vavart. Voisin des Plateaux Sauvages dans le XXème arrondissement où il a élu ses quartiers, sa démarche est de soutenir des projets artistiques à toutes les étapes de leur élaboration, qu’ils soient en cours ou déjà aboutis, via résidences et mutualisation de compétences. Une initiative qui se base sur la solidarité et la mise en commun des réseaux, soutient l’émergence et mise sur le collectif pour favoriser une création vivante et dynamique à l’image des forces vives qui le portent.
Les 7 et 8 avril, les Plateaux Sauvages ouvraient leurs portes aux équipes soutenues par le TDI, deux jours de théâtre intensif, investissant les différents espaces qu’offre le lieu – le grand théâtre, la salle transformable, les studios, les halls et les couloirs. Pas une miette de périmètre qui ne soit occupé par les différentes propositions, créations ou sorties de résidence, 9 en tout, couronnées par une conférence-débat en lien avec la démarche du TDI sur le thème “Comment s’inscrire en tant qu’artiste dans le monde d’aujourd’hui ?” et dont le texte de présentation reflète avec précision la mission de ce collectif : “Nous, fabricant·e·s de fictions, nous rendons compte de l’impact effectif de l’imaginaire sur le réel. Nombre de nos projets s’inscrivent dans une démarche de déconstruction et de relecture des histoires traditionnelles, dans lesquelles nous ne nous retrouvons plus. Autour de nos créations, nous interrogeons les mythes et portons haut les récits invisibilisés, pour mieux changer de perspective. De quelles histoires avons-nous besoin, en tant qu’individus et en tant que société ? Comment se dégager des histoires dont nous héritons, pour en inventer d’autres ? Pourquoi ce besoin de nouveaux récits aujourd’hui ? Qu’est-ce que cela change sur un plateau de théâtre, dans nos écritures, dans nos relations de travail ?”
C’est dans ce cadre foisonnant et accueillant et dans cette perspective pertinente de nouveaux récits qu’a été programmé le spectacle d’AG Compagnie, Illusion Comique, une forme participative pétaradante destinée à être jouée en collège (à partir de la 4ème), en lycée ou dans des théâtres. Née de la rencontre entre la comédienne et metteuse en scène Amandine Gilbert et la costumière Fanny Véran, AG Compagnie est une jeune compagnie fondée en 2020 qui se consacre à la création de formes immersives à destination de la jeunesse autour d’une thématique qui la concerne : l’adolescence. Avec Illusion Comique, elles plongent au coeur de la pièce éponyme de Corneille, monument du répertoire dramatique, pour en extraire les enjeux et les axes forts, questionner les problématiques sociétales et amoureuses à l’oeuvre dans l’intrigue en les frottant au monde d’aujourd’hui, en l’occurrence un campus américain et ses ados bouillonnants, timides ou survoltés. Le pari était risqué mais il fonctionne du tonnerre. En effet, le dispositif offre une multiplicité de mises en abyme qui viennent déplier à notre époque le procédé de « théâtre dans le théâtre » utilisé dans la pièce. Le public se retrouve convié à participer au tournage d’un film, spectateurs-figurants des séquences tournées en direct. En possession d’une feuille de route qui lui a été distribuée à l’entrée, il se voit confier quelques interventions, collectives ou individuelles, rappelant le procédé interactif du Rocky Horror Picture Show dans sa projection légendaire au Studio Galande.
Dans ce teen movie dans la plus pure tradition du genre, une professeure de lettres propose à ses élèves de travailler sur la tragi-comédie de Corneille en l’abordant par le prisme suivant : “les injonctions sociales à l’épreuve du sentiment amoureux à travers les personnages de L’Illusion Comique” et les invite à apprendre par coeur des scènes. L’occasion pour eux de se connaître mieux, de se rapprocher, se dévoiler, dans leur adhésion ou leur rejet des situations écrites. Et les scènes du XVIIème siècle jaillissent tantôt dans la salle de classe, un dinner américain, une chambre d’ado, faisant surgir tout autant le hiatus que les résonances avec les préoccupations de la jeunesse aujourd’hui. Le fameux dilemme cornélien, les rapports de classe, le conflit intérieur entre l’amour et le devoir, la fidélité, la rivalité… Au fond, les motifs sont toujours d’actualité mais les personnages encore embourbés dans une époque qui n’a pas fait sa révolution féministe.
Action ! Coupez ! Entre les deux, tout y est, les fringues stylées, les casiers où l’on se bouscule et se rencontre, les sonneries de fin de cours, leitmotiv sonore des années lycée, les tenues de pom-pom girl, les soirées ciné devant “West Side Story” en mangeant des kilos de pop corn, les premiers flirts maladroits, les fêtes, d’Halloween au bal de promo final qui réunit le public sur la piste de danse au son d’un Britney Spears culte, référence imparable dans ce contexte. Bataille d’oreillers, boulettes de papier lancées sur son crush, “Popular” de Nada Surf ou “Reality”, tube rescapé de la célèbre BO de “La Boum”, l’immersion est gourmande en détails et clins d’œil visuels et musicaux auxquels participent à leur juste valeur lumières, costumes, accessoires et décors (beau travail collaboratif de Fanny Véran et Marinette Buchy). Le rythme est vif, l’ambiance électrique, les changements de scène menés avec punch et les quatre comédien.nes s’en donnent à coeur joie, provoquant de croustillants moments d’hilarité. Une vraie belle idée que ce dispositif à tiroirs au capital sympathie immédiat, aussi drôle qu’intelligent.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Illusion Comique
Mise en scène Amandine Gilbert
Assistanat à la mise en scène Anaïs Cros
Scénographie Fanny Véran et Marinette Buchy
Lumières Marinette Buchy
Costumes Fanny Véran
Dramaturgie Amandine Gilbert (écriture de plateau)
Aide à l’écriture Suzanne Galéa
Collaboration musicale Julien Reboux et Muriel Lefebvre
Regards extérieurs Delphine Sabat et Mathilde Gentil
Avec Benjamin Candotti Besson, Béatrice Aubazac, Laure Nathan et Pauline DarcelPRODUCTION : Production AG compagnie. Avec le soutien de la Ville de Paris, de Pièces à emporter, du Festival Une petite part, de Mains d’œuvres, d’Anis Gras – Le Lieu de l’Autre, du TDI – Curry Vavart, et du dispositif La Culture et l’Art au Collège – Seine-Saint-Denis
Durée : 1h30
A partir de 12 ansLe 26 mai 2023 au Chapiteau de la Fontaine aux Images
Le 13 juin 2023 au Théâtre Municipal Berthelot
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