Les artistes programmés au festival « Les Zébrures du printemps », qui se tenait à Limoges du 20 au 26 mars, témoignent de la transformation de la francophonie, alors que l’influence politique de l’hexagone décroît dans les pays africains où l’on parle français.
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », formula le chimiste Antoine Lavoisier. Il en va de la matière, qu’il étudiait, comme de la francophonie dans les pays africains. Pour leurs autrices et leurs auteurs. Pour leurs spectatrices et leurs spectateurs. Et c’est une excellente nouvelle. La dernière édition du festival consacré aux artistes francophones « Les Zébrures du printemps », qui se tenait à Limoges du 20 au 26 mars, en fit une démonstration éclatante. Quand bien même le constat demeure étrangement paradoxal… Si la France perd de son influence politique en Afrique, la francophonie s’impose toujours comme un terrain de jeu privilégié pour ses artistes, qui s’en servent pour dépeindre un monde plus globalisé et multipolaire, qui l’enrichissent et la métissent au contact d’autres langues.
Au premier plan, l’économie accapare l’attention médiatique, comme souvent : c’est connu, la Russie et la Chine s’imposent en Afrique depuis plus de quinze ans, avec leurs investissements, et leurs infrastructures gigantesques… Mais pas leur culture. « À ma connaissance, les populations des pays africains en contact avec ces puissances économiques ne pratiquent pas leur langue, et ne sont pas près de le faire, explique le directeur du festival Hassane Kassi Kouyaté. En revanche, la France perd indéniablement de son assise politique. Auparavant, les Instituts français étaient les interlocuteurs privilégiés des artistes. Désormais, les partenariats culturels se multiplient avec les Allemands, les Belges, les Norvégiens et les Turcs. Lesquels dispensent des cours de langues et toutes sortes d’ateliers… En clair, sur le terrain, la France recule. Pas la francophonie. »
Les thèmes traités témoignent de cette ouverture. Une question d’histoire et de génération. « Dans l’horizon de notre imaginaire, la France n’occupe plus la place privilégiée du temps de la Françafrique, commente Fatou Sy, artiste ivoirienne et autrice de l’excellent Reine Or. Dès lors, poursuit-elle, les questions liées à l’immigration ou la négritude, qui, jadis, nous taraudaient, ne sont plus du tout à l’ordre du jour. »
À titre d’exemple, son texte met en scène un groupe d’orpailleurs clandestins dirigé par une femme, Bébé, aux pouvoirs quasi surnaturels. Un sujet contemporain. Un sujet international. Un sujet, qui, d’ailleurs, pourrait faire l’objet d’une adaptation en série pour Netflix (avis aux amateurs), tant son rythme est haletant, ses rebondissements sont imprévus, et ses personnages hauts en couleur. « Un texte autant d’actualité en Côte d’Ivoire, au Sahel, qu’au Burkina Fasso, embraie Fatou Sy ; un sujet universellement africain ». L’air du temps est aux thématiques contemporaines : la place de la femme, les questions liées au genre, la mal-gouvernance, les mutations sociales… Et l’actualité. « On ne s’interdirait pas de parler du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Désormais, tout est à notre portée », note l’autrice de Reine Or.
Qui écrit en Français. Surtout. Mais pas que. Plus que jamais, l’heure est au métissage linguistique. « Évidemment, on ne parle pas le français comme en France. On parle le français ivoirien. On a recolonisé la langue du colonisateur, et ce depuis bien longtemps. La nouveauté, c’est que l’on inclut nos langues vernaculaires dans nos textes. Le malinké en l’occurrence. » Une perspective créatrice, et un horizon émancipateur. Ainsi la langue se redéfinit et s’enrichit. « Tout est une question de dosage, continue l’artiste. Il ne faut pas perdre de vue que notre public se trouve surtout en France. » Même son de cloche au Rwanda, où depuis 2021 le français fait à nouveau partie des langues officielles, à côté de l’anglais. Claudia Shimwa, qui présenta Le Silence qui sait tant aux Zébrures du Printemps, traite des non-dits qui minent la société rwandaise. L’autrice écrit dans la langue de Molière, à cause de l’histoire, et à cause de l’école. Mais elle entend le multilinguisme de son pays, et elle s’en inspire. « Les Rwandais sont trilingues en réalité. Le français pour l’école. L’anglais pour le boulot. Le kinyarwanda à la maison. C’est un patchwork passionnant. On jongle. Et en jonglant, on réinvente », explique-t-elle. Ainsi, il faudrait détourner la célèbre formule d’Antoine Lavoisier : « Rien ne se perd, mais tout se crée ».
Igor Hansen-Løve – sceneweb.fr
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