Transposé dans le cadre morbide d’un hospice décrépit, le Falstaff de Verdi mis en scène par Denis Podalydès à l’Opéra de Lille, n’en demeure pas moins d’une réjouissante vitalité musicale et théâtrale.
Le sociétaire de la Comédie-Française, qui est aussi metteur en scène de théâtre et d’opéra, s’empare avec bonheur de l’ultime chef-d’œuvre de Verdi. Le compositeur octogénaire, revenu à Shakespeare après avoir mis en musique Othello et Macbeth, y fait montre d’une fantaisie et d’une inventivité intarissables en adaptant, avec son librettiste Boito, la trame narrative des Joyeuses commères de Windsor. Denis Podalydès fait son miel des intrigues rusées et épouse l’épicurienne philosophie qui en découle et selon laquelle le monde entier est une farce. Le décor clinique imaginé par Eric Ruf, un espace aux belles proportions mais aux attraits lugubres avec ses hauts murs pâles semblant peints à la chaux, son carrelage froid en strict damier, son éclairage aux néons blafards, ses rangs de lits en fer blanc, ses tiges porte sérum et poches à perfusion, est un cadre qui sent la mort mais qui se fait astucieusement et étonnement le théâtre d’une franche comédie haute en couleurs au centre de laquelle Falstaff, en pyjama rayé, est un patient alité. Il partage sa chambrée avec ses acolytes, Bardolfo et Pistola, parfois pris de crises de démence, tandis que les premiers rôles féminins se présentent comme de facétieuses infirmières-lavandières aux côtés de docteurs et chirurgiens.
Le rôle-titre est magistralement campé par Tassis Christoyannis dont la faconde et la truculence servent la puissance comique. C’est semble-t-il à une figure de commedia dell’arte que son Falstaff emprunte sa silhouette bonhomme et bouffonne qui ne déjoue pas mais s’amuse avec les représentations archétypales du personnage gargantuesque. Le chanteur porte une grosse bedaine à l’égal de sa stature vocale impressionnante. S’il dessine à loisir l’épaisseur physique et psychologique du rôle, son chant et son jeu ne renoncent jamais à la finesse. Ce qui n’est pas le cas de Gezim Myshketa au coffre puissant mais trop volontiers hurlant dans le rôle de Ford. Silvia Beltrami n’est pas en reste et déploie des graves opulents. Elle fait une Mrs Quickly pleine de verve et d’abattage. L’Alice de Gabrielle Philiponet comme la Meg de Julie Robard-Gendre profitent des voix délicieusement ductiles et distinguées de leurs interprètes. Enfin, Clara Guillon en Nannetta et Kevin Amiel en Fenton font sourire de leurs enfantillages gentiment gauches et niais.
La distribution réunie a pour principales qualités son aisance et son homogénéité. Les chanteurs s’électrisent sous la baguette d’Antonello Allemandi, si vive, si joyeuse et enlevée, mais sans non plus donner dans la légèreté ou la facilité. Elle emporte sur un rythme effréné l’Orchestre National de Lille toujours prompt à mettre en valeur la forte expressivité et toutes les subtilités de la composition. Ainsi, la fosse chemine dans la drôlerie, la malice mais aussi la poésie de la partition.
Denis Podalydès règle la mise en scène de cette production avec une connaissance intime du jeu et de la direction d’acteurs tout à fait palpable. S’il assume accorder une part privilégiée à la dimension bouffe de l’ouvrage, il fait aussi montre d’une acuité avec laquelle il lui confère une dimension existentielle plus crépusculaire. Comme dans les grandes comédies moliéresques, au plaisir de duper et se moquer s’adjoint un brin de mélancolie et même de cruauté. Le rire n’est d’ailleurs pas exempt d’un certain malaise lorsque Falstaff est crûment lynché, déshabillé au point de laisser paraître les moindres détails de son anatomie flétrie ; une outrance qui se présente comme une faute de goût au cœur d’une lecture qui ne manque jamais d’empathie. Le final réinventé évince la féerie nocturne au profit d’un carnaval cauchemardesque de blouses et de charlottes médicales au bout duquel Falstaff est magiquement métamorphosé et continue de célébrer le pouvoir du théâtre et de ses artifices.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Falstaff
Comédie lyrique en trois actes de Giuseppe Verdi (1813-1901)
Livret d’Arrigo Boito
Créé en 1893Antonello Allemandi direction musicale
Denis Podalydès mise en scène
Laurent Delvert collaborateur à la mise en scèneÉric Ruf décors
Christian Lacroix costumes
Bertrand Couderc lumières
Cécile Bon collaboration aux mouvement
Nicolas Chesneau chef de chant
Mathieu Romano chef de chœurAvec
Tassis Christoyannis Falstaff
Gabrielle Philiponet Alice Ford
Julie Robard-Gendre Meg Page
Silvia Beltrami Mrs Quickly
Clara Guillon Nannetta
Gezim Myshketa Ford
Kevin Amiel Fenton
Luca Lombardo Dr Caius
Loïc Félix Bardolfo
Damien Pass Pistola
Laurent Podalydès, Léo Reynaud comédiensChœur de l’Opéra de Lille
Orchestre National de LilleNouvelle production de l’Opéra de Lille
Coproduction les Théâtres de la Ville de Luxembourg, théâtre de CaenAvec le soutien du Crédit Agricole Nord de France, mécène principal de l’Opéra de Lille
Opéra Live : retransmission en direct et sur grand écran dans 25 lieux des Hauts-de-France le 16 mai.Durée : 2h45 entracte compris
Opéra de Lille
Dates 04 mai 2023 20h | 07 mai 16h | 09 mai 20h | 11 mai 20h | 14 mai 16h | 16 mai 20h | 19 mai 20h | 22 mai 20h | 24 mai 20h
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !