L’Opéra de Lyon qui fête cette année les trente ans de sa rénovation audacieuse par Jean Nouvel et les quarante ans de la création de son orchestre, « fait des contorsions » pour résister à la crise qui affecte le monde de l’art lyrique.
« La saison prochaine, ça tient. Je ne vais pas être obligé, comme certains collègues, d’annuler, de renoncer… Je fais des contorsions » confie Richard Brunel, le directeur de l’Opéra, dans un entretien avec l’AFP. Quand il est arrivé à la tête de l’institution, en novembre 2019, le metteur en scène ne « s’attendait pas du tout à vivre une succession de crises, le Covid, l’inflation, la guerre en Ukraine », avec « ses conséquences énormes sur les liens avec la Russie sur le plan artistique » et sur les prix de l’énergie.
Alors que la fréquentation n’a pas retrouvé le niveau global d’avant la crise sanitaire, l’Opéra a aussi subi deux coupes budgétaires de 500.000 euros, l’une décidée en 2021 par la nouvelle équipe municipale écologiste, l’autre par le conseil régional du LR Laurent Wauquiez en 2022. Si d’autres maisons d’opéras ont annoncé ces derniers mois des annulations de spectacles ou des fermetures temporaires, Richard Brunel « souhaite ne pas baisser le nombre de levers de rideau » et « veut offrir le même service public aux spectateurs », en gardant une « dimension européenne » avec des invitations d’artistes, de chefs et de metteurs en scène du monde entier.
Le choix est alors de « faire moins de nouvelles productions », de réfléchir sur les formats, de « recycler » des œuvres privées de public pour cause de confinement, de développer les coproductions et de reprendre des productions « déclassées », comme l’Elias de Mendelssohn, racheté à un théâtre de la capitale autrichienne Vienne pour la saison prochaine.
« Puissance émotionnelle »
Côté nouveau format, Richard Brunel cite Zylan ne chantera plus, un « monodrame » sur le destin d’un jeune chanteur homosexuel devenu star de la pop dans un pays autoritaire. Composée par la singaporienne Diana Soh pour un ténor et trois musiciens (guitare électrique, violoncelle, percussion), cette création a été conçue pour « circuler dans les lieux où l’opéra ne va pas ».
Le patron de l’opéra défend en même temps « la puissance émotionnelle » des grands opus: « le chœur des pèlerins de Tanhäuser, c’était 200 personnes sur scène chaque soir, je peux vous dire que ça vous scotche sur votre siège ! », dit-il en référence à l’opéra de Richard Wagner.
A ceux qui décrivent le lyrique comme un art conservateur prisé par un public urbain, aisé et âgé, il répond par des chiffres: 40% de nouveaux publics, au moins 25% de moins de 29 ans parmi les spectateurs. Et il met l’accent sur les programmes destinés aux spectateurs « empêchés géographiquement, éloignés socialement », des tarifs « très peu chers », des tournées hors de Lyon, des actions dans les lycées ou dans les maisons de retraite.
« Les baisses de subvention sont dommageables mais je veux dialoguer avec nos financeurs. (…) On peut trouver un terrain », affirme-t-il, en rappelant que l’opéra est « le premier employeur culturel de la région », avec 361 postes et plus de 110 ETP pour les intermittents.
En quête de nouveaux mécènes, la direction resserre ses frais structurels, du parc de transport au nombre de photocopies, en passant par le recyclage des costumes et des décors, mais aussi la surveillance étroite des dépenses de chauffage.
Des travaux ont été menés depuis 2010 pour limiter les déperditions énergétiques dans l’énorme bâtiment d’un volume de 77.100 m3 pour une surface de 14.800 m2. Mais cela ne va pas empêcher la facture d’énergie de passer de 300.000 euros à 1,1 million.
L’opéra néoclassique construit en 1831 a été rénové par Jean Nouvel et inauguré en 1993, après des années de polémiques politiques, financières et esthétiques
A l’époque, « certains l’avaient surnommé le grille-pain », sourit Richard Brunel, en référence au dôme de verre et de métal conçu au crépuscule des grands travaux impulsés par le président socialiste François Mitterrand, quand l’argent pour la culture coulait encore à flot.
Le dôme se voit de loin, « les soirs d’activité, ça s’éclaire et ça fait comme une sorte de cœur qui bat dans la ville », souligne-il. Citant Jean Vilar, il se dit convaincu que l’art est « une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain et le vin ».
Sophie Pons © Agence France-Presse
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