Ultime création de Marie-José Malis à la tête du CDN de la Commune, ces Géants de la montagne inspirés de Pirandello proposent une utopie de théâtre dans un monde au bord du chaos. Un modèle abscons que Marie-José Malis ne débrouille pas.
Il y a neuf ans, Marie-José Malis ouvrait sa première saison de programmation à la Commune avec un Hypérion inspiré d’Hölderlin qui, lors de son passage à Avignon, s’était fait étriller par une bonne partie de la critique, et du public. A l’aube de cette année 2023, elle y propose son dernier spectacle en tant que directrice du Centre Dramatique National (CDN) d’Aubervilliers. Une mise en scène des Géants de la montagne de Pirandello. L’ultime pièce également de l’auteur italien, écrite pendant huit ans et demeurée inachevée, dont l’écriture fut interrompue par sa mort. Un texte ardu, souvent abstrait, étrangement souvent monté. Il raconte l’histoire d’une troupe qui, suite à l’échec d’un spectacle, trouve refuge chez un magicien, Cotrone, qui va tenter d’ouvrir ses hôtes à d’autres manières de faire du théâtre. Un échec, la quête d’un lieu imaginaire propice à l’accueil de nouvelles formes. Toute ressemblance avec des personnages existants serait purement fortuite.
Il n’est pas sûr que Marie-José Malis reçoive, elle, meilleur accueil qu’il y a neuf ans pour cette création aux allures de testament théâtral (provisoire). Entre Hypérion et Les géants, il y aura eu une belle expérience à la tête d’un CDN d’une des villes les plus pauvres d’Île de France. Neuf ans d’une direction initialement chahutée par un conflit social, mais aussi particulièrement singulière et audacieuse, avec des choix tranchés, des expériences marquantes associant véritablement le territoire et le Théâtre (un emblème en restera sans doute la merveilleuse invention de ces pièces d’actualité) et une programmation faisant découvrir des artistes particulièrement prometteurs. On est triste que Marie-José Malis s’en aille, tant elle nous a semblé porteuse d’une véritable ambition, d’une utopie personnellement mûrie et nourrie qui seule peut donner du souffle et de l’identité à un lieu. Cette dernière création, malgré les Dom Juan, Güven et autres Lybie, l’enfer des exilés, qui nous auront particulièrement séduits durant sa direction, atténuera cependant les regrets.
Interminables silences entre les mots, phrases découpées, ruptures de tons au bord du gouffre, mines de clowns tristes, rythme lentissime, jeu statique et autres inextricable complexité des signes qu’envoie la scène marquent encore une fois cette dernière proposition de la metteuse en scène. On en comprend le sous-texte, qu’énonce clairement la note d’intention. « C’est la leçon de Cotrone, le magicien, aux artistes : vous n’êtes pas prêtes à rencontrer le peuple parce que vous ne prenez pas au sérieux son besoin de signes, le travail qu’une civilisation demande et qui est de donner nom et culte aux nouveaux inconnus effrayants ». Nous voilà donc partis à la recherche de formes qui réactivent l’imaginaire du peuple – passage obligé pour se donner des chances de reconfigurer le présent. Pirandello est mort en 1936. La période actuelle est porteuse de dangers qui se rapprochent dangereusement de celle d’où il nous parle. Mais cette pièce, dont il disait – à tort ou à raison ? – « c’est vraiment une fête pour l’esprit et pour les yeux », prend avec Marie-José Malis l’allure d’un chemin pénible et tortueux.
Quelques tentures coulissantes, des lumières qui restent toujours allumées côté spectateurs, des costumes de troupe de foire ou de tréteaux façon arte povera agrémentées de maquillages de clowns tristes, une musique largement lancinante, Marie-José Malis ne fait pas dans la hype scénographique. Tant pis, tant mieux ? Peu importe. Il y a ici un hommage à une forme de tradition. Mais si l’on se raccroche par endroits aux leçons distillées par l’auteur italien au gré de ses habituelles mises en abyme théâtrales, on peine quand même tout du long à simplement décrypter les signes que la mise en scène de Marie-José Malis cherche à envoyer. On ne sait pas quand rire, ni qu’en penser. On est maintenu dans l’incertitude absolue et l’on peine à rester aux aguets. De temps en temps, un cri, ou l’énoncé d’une évidence. Le personnage de Crotone dans son côté péremptoire finit par agacer. On essaye pourtant de ne pas faire « l’esprit fort » dans notre torpeur. D’adhérer à ces histoires de fantômes en lesquels il faudrait croire, à cette crédulité d’enfant qu’il faudrait retrouver. Peut-être s’agissait-il de cela, certes ? Cessons d’interpréter. Retrouvons l’innocence de la fiction. Parce qu’ils ne s’en donnent pas les moyens en demeurant si peu narratifs et tellement alambiqués, ces Géants de la montagne prennent malheureusement la forme, Marie-José Malice, d’un ultime pied de nez.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Les Géants de la Montagne ou ceci n’est pas encore un théâtre
de Luigi Pirandello
mis en scène par Marie-José Malis
avec Pascal Batigne, Juan Antonio Crespillo, Sylvia Etcheto, Olivier Horeau, Anne-Sophie Mage, Isabel Oed, Laurent Prache, Mohammad Muzammal Hossain Soheb
création lumière Jessy Ducatillon
création sonore Patrick Jammes
scénographie Jessy Ducatillon, Adrien Marès, Marie-José Malis
costumes Pascal Batigne
production La Commune CDN d’AubervilliersDurée 3h
La Commune CDN d’Aubervilliers
du 13 au 20 décembre 2023
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