La Présidence de la République annonce la mort du comédien Jacques Seyres. Le sociétaire honoraire de la Comédie-Française était âgé de 94 ans.
Il a quatorze ans en 1942. Il vit à Marseille, au-dessus d’un entrepôt de parfumerie. Il n’a jamais connu son père. Il vit élevé par des femmes. Sa grand-mère a été cuisinière dans des maisons bourgeoises. Sa mère est devenue brodeuse, un art qu’elle a appris des religieuses, et le quotidien modeste. Les Japonais ont attaqué Pearl Harbor, Orson Wells vient de réaliser Citizen Kane, Carné signe Les Visiteurs du soir et Lubitsch tourne To be or not to be. Il a quatorze ans, on l’appelle Jacky. Il veut aider sa mère. Il décide de travailler
Au Crédit Lyonnais, il se fait groom, gosse à tout faire, et fait tout, mais rien ne l’empêche de lire Proust, de rencontrer des artistes du dimanche qui le poussent à lire des poèmes, à en écrire, à en dire. Le gamin devient lecteur, le lecteur devient conteur et veut apprendre le métier d’acteur. En 1947, il débarque dans la capitale. À dix-neuf ans, il a lu ses classiques, perdu son accent et passe le Conservatoire. Dès lors, il travaille, lit, apprend.
1955, il entre à la Comédie-Française ‒ pour trente ans ‒, avec un goût prononcé pour l’intermittence, puisqu’il quittera la Maison de Molière en 1965 pour la rejoindre finalement en 1978 et ce jusqu’en 1997. Il grandit au cœur d’un âge d’or : ses maîtres se nomment Beaumarchais, Marivaux, ses camarades Jacques Charon, Robert Hirsch, Jean Piat, Françoise Seigner. Alain Feydeau, avec qui il partage sa loge, l’appelle « ma petite mouche bleue », son surnom devient « mouchy ». Il raffole des grands écarts, passe du rire aux larmes, du boulevard au classique, met en scène L’Aiglon d’Edmond Rostand ou déglingue la mécanique du Vison voyageur avec Poiret et Serrault. Il joue Feydeau, Genet, danse et chante le rôle de Ménélas de La Belle Hélène, à l’Opéra Comique, et fait entrer Giraudoux à la Comédie-Française. Goldoni aura été son auteur de prédilection avec La Locandiera, L’Impressario de Smyrne, La Serva amorosa, ou bien sûr la Trilogie de la villégiature, sous la direction de Giorgio Strehler.
Au cinéma, Jacques Sereys traverse les écrans du Feu Follet de Louis Malle, en 1963, revient dans Le Hussard sur le toit trente ans plus tard ou dans Mon petit doigt m’a dit, de Pascal Thomas. Années 2000, seul en scène, subtil orateur, doté du Molière du Comédien, il interprète Du côté de chez Proust, puis Sous le soleil de Daudet, dirigé par son complice Jean-Luc Tardieu.
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