L’espagnol est devenu en 2019 la langue étrangère la plus enseignée dans les lycées en Angleterre, et devance le français. Federico García Lorca vs Molière. Le théâtre Cervantes profite de cet engouement et fait salle comble en proposant des spectacles dans des versions bilingues.
« Ce Lorca est fou à lier », déclame l’actrice en espagnol suscitant une explosion de rires chez les adolescents britanniques présents dans le public du théâtre Cervantes de Londres, qui avec sa programmation bilingue promeut l’espagnol, devenue la langue préférée des lycéens anglais. Federico García Lorca « est un des auteurs espagnols les plus appréciés ici au Royaume-Uni », explique à l’AFP Paula Paz, la directrice artistique du théâtre, qu’elle a co-fondé en 2016 avec l’acteur et metteur en scène Jorge de Juan. Partis de rien dans ce qui était le local d’un ancien garage sous le pont d’une voie de chemin de fer, les deux artistes ont débuté en montant Noces de sang de Lorca. Et l’un des temps forts de cette saison sera La maison de Bernarda Alba à partir de février.
Mais le poète et dramaturge de Grenade n’est qu’un des multiples auteurs joués dans ce théâtre d’à peine 80 places dans le quartier de Southwark, au sud de la Tamise. Géants des lettres comme Lope de Vega, classiques moins connus, mais aussi nouvelles œuvres d’auteurs contemporains comme l’autrice chilienne Isabel Allende ou l’argentine Denise Despeyroux, y sont montés pour faire connaître les dernières tendances de la scène espagnole et latino-américaine.
Performances bilingues
Et pour toucher un public plus large, le théâtre alterne représentations en anglais et en espagnol, et même des œuvres qui mélangent les deux langues, comme en 2016 avec Le juge des divorces qui mêlaient extraits de Cervantes et monologues de Shakespeare. Ou encore en septembre dernier, avec l’opérette Black el payaso (Noir, le clown), une production basée sur une opérette de 1942 de Pablo Sorozábal, avec un texte en anglais et des chants en espagnol.
Malgré son nom, le théâtre Cervantes est totalement indépendant de l’Institut Cervantes, institution rattachée au ministère espagnol des Affaires étrangères, de qui il reçoit toutefois une toute petite subvention, qui ne suffit pas à les prémunir d’une situation financière fragile.
En décembre, le public a pu rire avec Le jeu de Don Cristobal, une farce peu connue de Lorca qui a notamment fait le bonheur d’une douzaine d’étudiants venus de l’école Haberdashers d’Elstree, petite ville au nord de Londres. « C’est une bonne manière de pratiquer une langue, parce j’ai déjà vu des films en espagnol mais c’est ma première pièce et j’ai dû me concentrer sur les répliques », raconte Zack Fecher, 17 ans, qui étudie l’espagnol depuis cinq ans.
Ana Zamora, la directrice de la compagnie théâtrale Nao d’amores, estime qu’ « il n’y a pas besoin de simplifier les textes pour les rendre plus compréhensibles pour un public étranger ». En l’occurrence, le public peut voir les similitudes entre la marionnette de Don Cristobal et le personnage anglais bien connu Mr Punch,.
L’espagnol devance le français
Pour Paula Paz, c’est précisément cette « exigence de qualité » proposée par le théâtre Cervantes qui lui apporte un « public fidèle », composé à la fois « de spectateurs amateurs d’un théâtre alternatif qui prend des risques, de ceux qui se passionnent pour la culture hispanique, et d’étudiants en espagnol ».
Ces derniers sont de plus en plus nombreux en Angleterre, où l’espagnol est devenu en 2019 la langue étrangère la plus enseignée dans les lycées, selon un rapport sur les tendances linguistiques du British Council. En 2021, il y a eu 8.433 candidats aux épreuves d’espagnol des examens de fin d’études secondaires, contre 7.671 candidats aux épreuves de français, qui depuis 2005 a reculé chez les adolescents, même s’il reste la première langue enseignée à l’école primaire. Certains groupes d’élèves venant assister à des représentations au théâtre Cervantes viennent de Liverpool, et même de Bruxelles parce qu’ « il n’y a pas d’offre similaire à celle-ci en Europe » , affirme la directrice artistique.
Entourée de trois rangées de tribunes, la petite scène fait naître une communion avec le public, qui peut presque toucher les acteurs, ressentant leurs émotions. « C’est un espace magique, avec une atmosphère très spéciale », reconnait Eduardo Mayo qui interprète le personnage du poète dans Le Jeu de Don Cristobal et donne à Don Cristobal la voix déformée dont avait rêvé l’auteur.
© Anna Cuenca – Agence France-Presse
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