La Friche la Belle de Mai à Marseille fête ses 30 ans
La Friche la Belle de Mai de Marseille fête son 30e anniversaire. Construite dans l’ancienne manufacture des tabacs de Marseille, elle a permis d’aménager, année après année, ateliers d’artistes, studio de répétitions, fablab, ateliers de construction qui accueillent des résidents permanents et temporaires.
Sur le bitume, les roulettes des skates côtoient les ballons de foot. Dans les étages, un chorégraphe sud-africain répète, des jeunes apprennent la cuisine: depuis 30 ans à Marseille, la Friche la Belle de Mai fait vivre la culture, brassant publics et disciplines.
Dans les vastes coursives couvertes d’affiches et de tags de ce pôle culturel résonne le crissement des trains, celui des TGV quittant la gare Saint-Charles toute proche. Les wagons acheminant le papier à cigarette ont eux disparu depuis longtemps de cette ancienne Manufacture des Tabacs, fermée en 1990.
Deux ans plus tard, avec l’aval de l’adjoint à la culture de Marseille, Julien Blaine, le « Système Friche Théâtre », l’association fondatrice, y prenait ses quartiers, au sein de l’une des zones les plus défavorisées de France.
« L’idée, c’était que la culture peut être une alternative économique dans des locaux où l’industrie se heurte à une espèce de caractère obsolète », se remémore Philippe Foulquié, l’un des pères fondateurs du projet. « La condition, c’était qu’elle ne s’enferme pas dans ses chapelles ».
Pionnière des « tiers-lieux » culturels, ces endroits permettant le croisement de pratiques culturelles et de démarches sociales, la Friche la Belle de Mai célèbrera ses trente ans samedi lors d’une grande fête populaire. « La vraie différence avec les tiers-lieux lambda, c’est que dès le départ, la Friche a été un lieu qui a voulu s’ouvrir sur le quartier de la Belle de Mai », pauvre et ouvrier, renchérit Matthieu Poitevin, l’architecte qui a œuvré pendant plus de 20 ans à la transformation de l’ancienne usine.
Tout était possible
Si l’art dramatique a été présent dès les origines, notamment via le Théâtre Massalia que dirigeait Philippe Foulquié, d’autres disciplines ont peu à peu été accueillies: musique, danse, cinéma, littérature, arts numérique, plastique ou culinaire. « Le premier réel emplacement d’IAM (groupe de rap marseillais), le premier cybercafé de France, c’est ici », rappelle Fabrice Lextrait, autre fondateur de la Friche, dont il codirige aujourd’hui le restaurant, Les Grandes Tables.
« Dans un premier temps, la Friche est un espace qui invite des gens à faire de la diffusion dans les disciplines où on n’est pas compétent. C’est comme ça qu’on crée une dynamique interdisciplinaire », détaille Philippe Foulquié, directeur jusqu’en 2010. « Les musiciens n’allaient pas au théâtre, les gens de théâtre n’allaient pas à la musique, mais peu à peu, ça s’est fait ». Le tout dans « une grande liberté », ajoute-t-il. « La seule obligation que nous avons eue, c’était d’inventer, en mélangeant les disciplines et les publics. Donc on faisait des tentatives, d’ailleurs ça s’appelait +Hypothèses et tentatives d’artistes ».
« Rien n’arrêtait l’imaginaire, tout était possible », abonde Marie-Josée Ordener, qui a travaillé pour le Théâtre Massalia avant de cofonder Les Grandes Tables. « Les artistes avaient la part belle: à part créer, on ne leur demandait pas grand-chose ».
« On était sur cette lancée où le collectif était la chose la plus importante », même si « au tout début, la Friche, c’étaient les rats qui couraient sur les balustrades, les projecteurs qui prenaient feu. C’était totalement « borderline » sur tout », se souvient-elle.
En 1995, sous la présidence de l’architecte Jean Nouvel, la Friche s’inscrit dans un vaste plan de rénovation urbaine de la deuxième ville de France. Le site originel de l’usine est divisé en trois entités, dont le « pôle d’auteurs dédié à la culture vivante », qui occupe 45.000 m2, plus de dix fois la surface d’exposition du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem). L’élection de Marseille comme capitale européenne de la culture en 2013, dont la Friche a été un bénéficiaire majeur, marque un tournant, avec des travaux qui montent jusqu’à 30 millions d’euros.
Bout de ville
Une enveloppe qui permet l’aménagement du toit-terrasse, d’une Tour-Panorama, de deux salles de spectacle, d’une crèche, de jardins partagés. « A partir de ce moment-là, il y a une forme malgré soi d’institutionnalisation », souligne Alban Corbier-Labasse, son actuel directeur, mais « la magie » et la « dimension inclassable » demeurent.
« On est ouvert 365 jours par an, 7 jours sur 7, de 8h00 à 23h00. Il y a toujours des gens qui travaillent ici, il y a toujours une activité », relève-t-il.
Forte de 70 structures résidentes, soit 400 personnes, la Friche accueille aujourd’hui environ 600 événements par an et près d’un demi-million de visiteurs, dont de nombreux artistes étrangers.
« La Friche, c’est un bout de ville et c’est un espace social total où se croisent toutes les problématiques et toutes les dynamiques de Marseille », analyse Alban Corbier-Labasse. « Ca s’entrechoque et, sans que nous le provoquions, ça génère des situations uniques ».
Autour du seul wagon que conserve le site, celui de l’aire de jeux, des familles du quartier viennent chercher un peu de fraîcheur dans l’été caniculaire pendant que sur le rooftop, les fêtards tutoient les étoiles au son de DJs électro venus de Détroit ou Berlin.
© Agence France-Presse
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