Mises en scène par Léna Paugam dans une production de La Scala, Ariane Ascaride et Philippine Pierre-Brossolette incarnent dans Gisèle Halimi, une farouche liberté l’avocate, militante et figure du féminisme. Faute d’intensité et de relief, leur jeu restitue la chronologie d’une grande vie, sans son épaisseur.
En ouvrant sa pièce intitulée Gisèle Halimi, une farouche liberté par un extrait du roman Fritna (1999), où la célèbre avocate et militante décédée en 2020 dit le non-amour de sa mère et la blessure qu’elle en a conçu, la metteure en scène Léna Paugam fait un choix moins innocent qu’il y paraît. Pourquoi en effet introduire un spectacle adapté du livre d’entretiens menés avec Gisèle Halimi par la journaliste Annick Cojean, publié l’année de sa disparition chez Grasset, par un extrait d’un autre livre, écrit celui-là de la main de l’intéressée ? À posteriori, on peut penser à l’aveu de la part de la metteure en scène d’un sentiment d’insuffisance des entretiens dont elle a repris le titre. Non que ce texte, sorte de testament d’une femme dont les combats ont été parmi les plus importants du siècle passé, ne soit éclairant sur le parcours de celle-ci. Il dit aussi beaucoup sur la manière très singulière, très aiguë, dont Gisèle Halimi se situait elle-même dans l’Histoire, et sur sa façon de mettre cela en récit. Mais est-ce de nature à faire théâtre ?
La première personne, telle qu’elle est portée par Ariane Ascaride et Philippine Pierre-Brossolette, pose problème. D’emblée, il est clair que ni l’une ni l’autre actrice n’a un parler ni une intensité équivalente à Gisèle Halimi, dont elles commencent par raconter la vie dans sa famille juive à La Goulette près de Tunis. Pourtant, Léna Paugam a pris le parti de l’incarnation. D’une incarnation non-réaliste, dans la mesure où deux actrices l’assument ensemble, mais tout de même. Le montage réalisé par Léna Paugam – d’autres textes que Fritna s’intègrent au témoignage, largement réduit pour l’occasion – n’apporte aucune distance à l’approche que font les deux comédiennes de la grande Femme. Or pour évoquer celle-ci deux ans seulement après sa disparition, alors que des hommages de toutes sortes ne cessent de se multiplier, la trace d’une réflexion sur la capacité du théâtre et ses limites à dire la complexité d’une figure si importante aurait été souhaitable.
On aurait pu espérer, par exemple, comprendre le rapport des interprètes à celle qu’elles incarnent, à ses différentes luttes évoquées dans le spectacle selon la chronologie du livre. D’autant plus que la pièce, apprend-on dans le dossier de presse, est née du désir de Philippine Pierre-Brossolette, qui en portant Gisèle Halimi, une farouche liberté au théâtre voulait « donner matière à penser, à rassembler, à partager, à vibrer ». Or au plateau, ni la relation entre les deux comédiennes ni la façon dont chacune s’empare des mots de Gisèle Halimi tels que les a transmis Annick Cojean ne suggère un rapport personnel avec celle dont la vie personnelle aussi bien que professionnelle furent étroitement liées à son engagement pour les causes publiques que sont l’anticolonialisme et le droit des femmes.
Bien que de générations différentes, Philippine Pierre-Brossolette et Ariane Ascaride illustrent avec la même tiédeur les grands épisodes de la vie de leur héroïne, sans y glisser le moindre signe de leur interprétation ni de leurs sentiments personnels. On avance ainsi tranquillement – laborieusement même le soir de la première, où la plus célèbre des deux comédiennes peinait visiblement avec son texte – de l’enfance tunisienne de Gisèle Halimi à son combat en faveur de la parité dans les institutions politiques, en passant par son soutien de la militante FLN Djamila Boupacha victime de torture ou encore par le grand Procès de Bobigny en 1972, avancée majeure vers la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse votée en 1974. Aussi illustratives que le jeu, les images projetées en fond de scène et la musique du spectacle ne dissimulent en rien la pauvreté de la proposition. Diffusée à quelques reprises, la voix ferme et si particulière de Gisèle Halimi rend même flagrante l’indigence de la pièce.
La place de Gisèle Halimi, une furieuse liberté dans le parcours de Léna Paugam, qui a réalisé plusieurs pièces sur la condition féminine – HEDDA par exemple, de Sigrid Carré –, et qui présentera en novembre au Théâtre 13 sa mise en scène du puissant texte de Laurène Marx, Pour un temps sois peu. Peut-être Gisèle Halimi, dont les combats furent viscéraux et continuent de l’être pour toutes et tous ceux qui revendiquent son héritage, ne s’accommode-t-elle pas bien de l’exercice de la commande.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Gisèle Halimi, une farouche liberté
Une adaptation des entretiens menés par la journaliste Annick Cojean
Avec Ariane Ascaride et Philippine Pierre-Brossolette
Mise en scène Léna PaugamAvec le regard artistique de Jacques Weber
Production
La Scala ParisLa Scala Paris
Du 17 septembre 2024 au 31 mai 2025
À 15h, 19h OU 21h
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