Dystopia : un impertinent retour vers le Futur

photo Hermes Gaido

Les deux argentins Alfonso Baron et Luciano Rosso sont de retour au Rond-Point avec leur nouvelle création hybride, grinçante et futuriste.

Ils avaient fait fureur avec leur pièce Un Poyo Rojo. Né dans la banlieue de Buenos Aires, le spectacle avait tourné pendant plus de 15 ans et enflammé le Rond-Point de 2016 à 2021. Les deux acrobates argentins reviennent donc, toujours accompagnés d’Hermes Gaido à la mise en scène. La filiation entre les deux pièces est clairement revendiquée, on y retrouve le duo endiablé et malicieux d’Alfonso et de Luciano. Mais ici le ‘teatro fisico’ rencontre l’ère futuriste et les corps s’apprécient désormais à travers des écrans.

Les images et notre rapport à celles-ci sont au centre de Dystopia. “Ces images se consomment souvent sans recul, elles portent en elles un pouvoir de conditionnement et d’injonctions insidieuses qu’il nous plaît de mettre à nu” explique Hermes Gaido. Une succession de tableaux, tous plus déjantés les uns que les autres, s’amusent avec un important dispositif numérique. Un grand fond vert et des capteurs permettent d’incruster en temps réel le corps des deux acteurs dans des images retransmises par un écran géant qui surplombe la scène.

Ainsi, une chorégraphie contemporaine devient complètement absurde lorsque des images viennent s’y incruster : les deux acteurs se retrouvent à danser au milieu d’une horde de pingouins, ou bien de dévaler une pente de ski, version jeux vidéo. Sur des tubes pop électrisés, les corps se déhanchent. Lorsque les acteurs passent devant certains capteurs, un filtre déforme les traits de leur visage retransmis à l’écran. Chacun de ces filtres, inspirés d’Instagram, représente un archétype de ce qu’Internet propose de pire comme de meilleur : l’enfant-star, le conspirationniste, l’adolescente révoltée, le cinquantenaire réactionnaire, les spécialistes auto-proclamés, les publicités cachées… Chacun de ces personnages est confronté à ses propres contradictions, caricaturé jusqu’à la difformité.

Tout le monde en prend pour son grade, donc. Y compris les artistes. Avec beaucoup d’auto-dérision les deux acrobates se sondent. « Votre art est-il conceptuel ? » Alfonso et Luciano haussent les épaules en riant : « tout peut être considéré comme de l’art et tout le monde peut faire de l’art, il suffit d’ouvrir son cœur ». Au cœur des images numériques en cascades, où se trouve l’œuvre d’art ? Les artistes s’amusent de cette question et répondent : si une banane scotchée sur le mur blanc de l’Art Basel de Miami peut être considérée comme de l’art et vendue plusieurs centaines de milliers d’euros avant d’être dévorée, où est la frontière ? Autre exemple : Alfonso et Luciano vont être interviewés à plusieurs reprises par un duo de maman youtubeuses déjantées et caricaturales. Entre deux placements de produit, elles invectivent les deux artistes :  « Vous êtes pleinement conscient de l’empreinte carbone d’un tel dispositif technologique ? C’est un show végan au moins ? »

« L’absurde et le comique se forgent ainsi dans ce décalage entre la prétention de l’image et la matière qu’elle nécessite pour se constituer, ce va et vient entre l’illusion et le tangible » écrit Hermes Gaido. Mais ici, le va-et-vient est clairement en faveur de l’image, qui prend une place considérable. Les corps des deux danseurs sont sans cesse empêchés par les écrans, les rendant insaisissables, inaccessibles. Plongés dans une matrice acide et grinçante, on se sent piégés dans un algorithme tentaculaire où il faut supporter le défilé sans fin de vidéos kaléidoscopiques. Déroutant.

Fanny Imbert – www.sceneweb.fr

Dystopia

Création : POYO ROJO / Alfonso Barón, Hermes Gaido & Luciano Rosso, avec la collaboration de Julien Barazer.

Direction : Hermes Gaido

Chorégraphie et interprétation : Alfonso Barón & Luciano Rosso

Collaboration musicale : Sebastian Perez & Migo Scalone

Création vidéo : POYO ROJO, Alfonso Barón, Hermes Gaido, Luciano Rosso & Julien Barazer

Montage vidéo et effets visuels : Hermes Gaido

Lumière, scénographie, costumes et accessoires : POYO ROJO, Alfonso Barón, Hermes Gaido & Luciano Rosso

Dramaturgie : POYO ROJO, Alfonso Barón, Hermes Gaido, Luciano Rosso & Julien Barazer

Production : POYO ROJO et Teatro Español (Madrid)

Direction de production : T4/ Maxime Seugé & Jonathan Zack

Avec le soutien du Pôle de développement chorégraphique Bernard Glandier – Montpellier, L’Arsenic – Gindou (Communauté de communes Cazals-Salviac), Théâtre Molière Scène Nationale Archipel de Thau – Sète, SPEDIDAM.

Distribution en Espagne : Producciones Teatrales Contemporáneas

Durée 1h10

Au théâtre du Rond Point du 11 au 30 octobre
Du mardi au dimanche 18h30
Relâche les lundi et le 13 octobre

Tournée :
17 février 2023 Vitoria (Espagne)
21 avril 2023 Barakaldo (Espagne)