A partir de l’œuvre de Gustav Mahler, le metteur en scène et scénographe Philippe Quesne célèbre le lien qui unit l’homme à la nature dans un spectacle-paysage d’une délicate et poétique beauté.
Après une première incursion dans le monde lyrique avec sa mise en scène berlinoise d’un opéra laissé inachevé par Debussy d’après La Chute de la maison Usher d’Edgar Allan Poe, Philippe Quesne a répondu à la demande des Wiener Festwochen, de s’emparer du Chant de la terre (Das Lied von der Erde) de Gustav Mahler. Achevée en 1908, l’œuvre qui fait s’amalgamer les deux genres auxquels le compositeur a consacré sa vie entière , tient formellement autant de la symphonie que du cycle de lieder. Elle est totalement empreinte de l’éphémérité et de la fluctuation des choses. La fugacité de la jeunesse, la brièveté de la vie, l’étourdissement insouciant des vains plaisirs et l’éternelle solitude sont les thèmes existentiels qu’abordent les quelques poèmes mis en voix et en mélodie pour un ensemble chambriste et deux voix solistes. Exaltante et bouleversante, la musique faussement allègre et profondément mélancolique de Mahler sonne avec un bel éclat dans l’interprétation qu’en propose le Klangforum de Vienne sous l’élégante direction du chef Emilio Pomàrico.
L’exiguïté de l’existence et la perpétuelle renaissance de l’environnement s’opposent dans Le Chant de la terre. Sans chercher à simplement illustrer ce propos mais en signant une mise en scène délibérément picturale, Philippe Quesne – un artiste toujours poreux des réflexions liées à l’Anthropocène – fait du plateau un tableau vivant qui invite à contempler une nature éblouissante et mouvante au fil du temps et des saisons qui passent inexorablement. Cette nature se laisse découvrir et arpenter par les moyens théâtraux les plus artisanaux, des toiles peintes qui apparaissent et disparaissent par exemple, des éclairages favorisant des climats atmosphériques pénétrants. Elle se présente comme l’écrin et le réceptacle des états d’âme tourmentés d’une humanité fragilisée.
Le fascinant décor est une vaste lande qui décline un panel de couleurs changeantes, chaudement solaires ou d’une froideur hivernal, à mesure qu’elle s’enfonce doucement dans le crépuscule de la nuit. Baigné d’un fin crachin, d’un nébuleux brouillard, d’épais flocons de neige tombant en abondance, le plateau revêt une blancheur spectrale qui rend ses formes et ses contours insaisissables. Sur cette lande, errent deux chanteurs donnant parfois l’impression d’être assez insuffisamment dirigés mais qui pouvant compter sur leur naturelle expressivité, notamment l’incandescente mezzo ukrainienne Christina Daletska qui a ouvert la représentation sur ces mots : La terre ne chante pas en Ukraine, elle crie et qui nous enjoint à ne pas l’oublier.
Outre le bonheur musical qu’offre ce spectacle aussi fin que profond, la proposition de Philippe Quesne, a ceci de magnifiquement réparatrice : faire se suspendre le temps, répondre généreusement au besoin d’espace, d’ailleurs, de vertige comme d’apaisement, d’harmonie. C’est bien cela qui est advenu deux soirs seulement sur la scène du Châtelet.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Le Chant de la terre
Das Lied von der Erde
Musique, Gustav Mahler, Das Lied von der Erde, version musique de chambre de Reinbert de Leeuw
Ensemble Klangforum Wien
Direction musicale, Emilio Pomàrico
Mise en scène, conception, scénographie, Philippe Quesne
Christina Daletska, alto
Maximilian Schmitt, tenor
Lumières, Nicol de Rooij
Assistant mise en scène, François-Xavier Rouyer
Assistante musique, Gabriele Baksyté
Collaboration à la dramaturgie, Camille Louis
Collaboration technique, Marc Chevillon
Collaboration artistique, Élodie Dauguet
Costumes, Alja AyidanCommande et production Wiener Festwochen
Coproduction deSingel – International arts campus (Anvers)
En collaboration avec Vivarium Studio
Droits d’auteur Universal Edition (Vienne)
Coréalisation Théâtre du Châtelet ; Festival d’Automne à Paris
Avec le soutien de Théâtre Nanterre-Amandiers
Avec le soutien du Forum Culturel AutrichienDurée : 1h05
Festival d’Automne à Paris
au Théâtre du Châtelet
9 et 10 Novembre 2022
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