Brassant les interrogations sur les questions de genre et la place de la famille dans notre société, Père & Fils de Pedro Penim retourne les opinions dans tous les sens à tel point que le spectateur perd la tête. Une expérience à la fois éprouvante et drôle qui place le metteur en scène portuguais dans la catégorie de celles et ceux qui font du théâtre autrement.
C’est le successeur de Tiago Rodrigues à la tête du Teatro Nacional D.Maria II à Lisbonne. Fondateur du Teatro Praga, c’est aussi un habitué du Théâtre de la Ville qui ne le reçoit pas pour la première fois à l’occasion de cette année franco-portugaise dans laquelle la programmation de son Pères & Fils s’inscrit. Pedro Penim approche de la cinquantaine. Il est lancé depuis plusieurs années dans un processus de gestation pour autrui, afin d’avoir un enfant avec son mari. Un substrat autobiographique qu’il évoque en toute simplicité au début de son spectacle avant que celui-ci ne tourne au grand chaos des idées et des temporalités qui s’entrechoquent dans tous les sens.
On dirait des balles rebondissantes. Elles seraient lancées dans le tambour d’une machine à laver en mode essorage qui tourne à plus de 1000 tours/minute. C’est ébouriffant. Grisant. On est largué aussi. Devoir suivre en surtitrage ces échanges qui partent dans tous les sens ne facilite pas la tâche. Il y a là un couple d’hommes qui cherche une mère porteuse. La dernière en date qui a accepté de porter un enfant pour eux. Le frère d’un des deux hommes du couple et son petit chien, homme dont le fils trans revient à la maison avec une fille trans également. C’est de l’arrivée de ces deux jeunes gens qui ne veulent pas non plus qu’on parle de « non-binaire » parce que cela conforte la norme du « binaire » que surgit le drame, que naissent les oppositions, les débats. Ielles veulent abattre les vieux repères. Et tout d’un coup, voilà le couple homo, libéral et progressiste qui se retrouve relégué dans le rang des penseurs conservateurs et bourgeois, de « pédés néolibéraux ».
On est tous le réac de quelqu’un mais la manière dont le spectacle bouleverse les habituelles lignes de pensées et d’oppositions est assez désopilante. Comme Pedro Penim s’est inspiré d’un roman de Tourgueniev, les jeunes gens s’autoproclament nihilistes comme du bon vieux temps de la Russie prête à renverser le tsar. Surgit du passé également une sorte d’Arkadina – mère de Treplev dans La Mouette de Tchekhov – comédienne égocentrique qui n’aime pas sa fille, enfin qui n’aime pas les enfants tout court, et n’en éprouve aucune gêne morale. Les temporalités s’enchevêtrent et le metteur en scène portugais fait valoir un certain sens de l’absurde et de la dérision, tout comme de l’outrance, dont la cohabitation avec la teneur politique et sérieuse des échanges est assez détonante.
On ne se cachera pas qu’on est souvent perdu dans ces oppositions qui se répètent à l’envi. La tête à l’envers, les repères essorés, n’en demeure pas moins le plaisir d’assister à un théâtre qui ne propose aucune direction fixe et pousse à son paroxysme la remise en cause du modèle familial qui, bon an, mal an, gouverne nos sociétés. Penim dit faire du théâtre pour le futur. Et c’est vrai qu’il paraît avoir un coup d’avance sur bien des formes qui veulent agiter les mêmes questions. On trouve toujours plus disruptif que soi aussi et la multiplication des lignes de conflits, qui se jouent parfois à front renversé, ne sont pas sans évoquer ces polémiques infinies qui agitent les réseaux sociaux. Le tout est joué dans un bel équilibre entre la farce et le sérieux, croise le burlesque et le réaliste. On est souvent perplexe et perdu mais aussi content que surgisse ce nouveau metteur en scène.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Pères & fils
Texte et mise en scène, Pedro Penim
Avec Ana Tang, André e. Teodósio, David Costa, Diogo Bento, Hugo van der Ding, Joana Barrios, João Abreu, Pedro Penim, Rita Blanco, Olívia « Trouble »
Assistant à la mise en scène, Bernardo de Lacerda
Conseil chorégraphie, Luiz Antunes
Scénographie, Joana Barrios
Costumes, Rosário Balbi
Création poupée, António Vieira Imaginações Reborn
Vidéo, Jorge Jácome
Lumières, Daniel Worm d’Assumpção
Son, Miguel Lucas MendesCoproduction Teatro Praga (Lisbonne) ; Teatro Nacional São João (Porto) ; São Luiz Teatro Municipal (Lisbonne)
Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à ParisManifestation organisée dans le cadre de la Saison France-Portugal 2022
Avec le soutien de LVMH, membre du Comité des mécènes de la Saison France-Portugal 2022Durée : 2h30 avec entracte
Festival d’Automne à Paris
Théâtre de la Ville – Les Abbesses
28 septembre au 1er octobre 20226 et 7 octobre au Théâtre de la Cité à Toulouse
13 octobre au Théâtre Michel Portal à Bayonne
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