Avec la Nuit immersive, six performances ont investi, le 12 juillet dernier, l’espace de l’église des Célestins, offrant une plongée dans des univers singuliers.
Il est minuit et demi lorsque le public rentre dans l’église des Célestins pour la troisième et dernière représentation de la Nuit immersive. Organisée par l’Adami et Tracks, le magazine d’Arte, cette Nuit baptisée Super Tomorrow a pour but de mettre en lumière, comme le précise le dossier de presse, des artistes « mêlant arts et nouvelles technologies ». Très hétéroclite, la programmation offre des propositions à la croisée des arts visuels et des arts vivants. Des formes conçues par une nouvelle génération d’artistes, qu’ils soient chorégraphes, performeurs, comédiens, ou, encore, metteurs en scène (Guillaume Cousin, Julie Desmet Weaver, X Underground Sugar, Adrien M & Claire B, Jann Gallois, Rocio Berenguer, Moran Sanderovich et Thomas Laigle).
Si toutes ces performances ont été rassemblées du fait de l’emploi de nouvelles technologies, une seulement a largement recours à la vidéo. Inspirée du film L’Écume des jours – adaptation par Michel Gondry du livre de Boris Vian –, la création met en scène Axel Beaumont interagissant avec un écran sur lequel se trouve son âme sœur (Lou de Laage). L’intensité des sentiments est traduite par une série de fonds d’écran psychédéliques et effervescents créés par Julie Desmet Weaver, l’ensemble tentant de conjuguer virtualité et émotions. Pour autant, si la proposition est esthétiquement séduisante, l’immersion demeure assez limitée et le rapport scène-salle ne diffère pas ici de celui d’une salle de théâtre classique.
Les deux formes suivantes réinventent et bousculent, en revanche, les règles des relations acteurs-spectateurs. Just Your Shadow investit une scène surélevée dans un renfoncement de l’église et conduit les spectateurs à se masser devant. Artistiquement plus classique, cette performance est d’une beauté saisissante : on y voit deux femmes parcourues d’ondes de lumières lorsqu’elles se touchent. Sur la bande-originale du film Youth de Paolo Sorrentino (2015), les deux danseuses se découvrent au fil de la chanson, et leur chorégraphie, malgré sa lenteur, semble parfois défier la gravité à la faveur des variations lumineuses.
Intitulée Eatthesun Thebadweeds, la deuxième performance entraîne les spectateurs dans un espace bi-frontal qui s’accorde parfaitement avec ce qui va suivre. Un néon blanc et carré disposé au sol s’allume et s’éteint, tandis que des formes accroupies, poilues et à l’apparence peu humaine – évoquant les créatures photographiées par Charles Fréger –, se déplacent. Une lumière s’allume, et ces « créatures » se révèlent être The Batweeds, un groupe de musique se présentant comme « vrai groupe de musique fictif, trans-espèce », mi-humain, mi-mauvaises herbes (traduction littérale de leur nom). « L’humain n’est plus sexy car il n’a plus de puissance de futur », annonce le leader du groupe avant que les trois membres ne commencent à jouer et à entamer une chorégraphie étrange et jouissive par l’énergie dégagée. Conçue par l’autrice et metteuse en scène Rocio Berenguer, cette performance interpelle par son rythme énergique.
D’autres propositions déplacent, à leur manière, les frontières de la performance, à l’instar du Silence des particules. Celle-ci s’articule autour de la machine intrigante construite par Guillaume Cousin (scénographe et éclairagiste passionné de physique quantique). Cette dernière rejette une fumée dont la forme s’apparente initialement à une méduse, avant de s’affiner en un cercle, et de « s’auto-détruire ». Sans interprète, ni accessoires, l’ensemble se révèle aussi simple, brut que fascinant.
Les deux dernières performances marquent un goût pour l’hybridation. Il y a Anastatica, réalisée par Moran Sanderovich, qui suscite un mélange d’intérêt et d’effroi. L’artiste y représente des formes humaines alternatives. Sur scène, un corps se dégage de ce qui semble être des boyaux, pour se lever au ralenti, une arme à la main. L’arme, comme la combinaison et le casque de la performeuse évoquent les entrailles d’un corps humain. Mais une fois le premier tableau passé, la proposition laisse perplexe, la performeuse semblant seulement tenter de se réengager dans les boyaux dont elle s’est extirpée.
Si l’enchaînement d’une performance à l’autre fonctionnait jusque-là, celui-ci achoppe lors du passage à // Zenith 2000K // – une grande partie du public ayant cru que cette création de Thomas Laigle se rattachait à la précédente. Un écueil qui renvoie à la structure même de cette Nuit immersive. Car si la cohérence des performances à travers les différentes technologies utilisées est réelle, leur association semble plus guidée par l’attrait de la nouveauté que par un vrai fil conducteur. Néanmoins, connexions entre les univers ou pas, l’écrin de l’église des Célestins, magnifique lieu marqué par les traces du passage du temps, accentue la sensation de plonger dans un univers à part. Entre romantisme de l’espace et hybridation des formes, cette Nuit immersive embarque le spectateur qui ressort un peu sonné.
Hanna Bernard- www.sceneweb.fr
La Nuit Immersive / Super Tomorrow
Le Silence des particules
Avec onze anneaux de fumée
Conception Guillaume CousinL’Ecume des Jours – Rêverie virtuelle et sonore
Mise en scène Julie Desmet-Weaver d’après L’Écume des jours de Boris Vian
Avec Axel Beaumont et, à l’image, Lou de Laâge, Jonathan Genet
Scénographie Alain LagardeJust Your Shadow
Conception Adrien M & Claire B X Jann Gallois | Cie BurnOut
Avec Jann Gallois, Carla Diego
Création visuelle Claire Bardainne, Adrien Mondot
Chorégraphie Jann Gallois
Production Adrien M & Claire BEatthesun, Thebadweeds
Conception, mise en scène, chorégraphie et textes Rocio Berenguer
Avec Julien Moreau, Rina Murakami, Haini Wang
Musique Baptiste Malgoire, Rocio Berenguer (voix)
Dramaturgie, regard extérieur Marja Christians
Lumière Diane GuerinAnastatica
de et avec Moran Sanderovich
Chorégraphie Lyllie Rouvière et Moran Sanderovich
Dramaturgie Lyllie Rouvière// Zenith 2000K //
de et avec Thomas LaigleProduction Adami, Program33
Avec le soutien d’ARTE France
En partenariat avec le Festival d’AvignonFestival d’Avignon 2022
le 12 juillet à 21h30, 23h et 0h30
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