Pierre Notte monte la pièce drôle et grinçante de Muriel Gaudin où l’arrivée d’un jeune réfugié met, dans un élan pasolinien, l’ensemble d’une famille face à ses contradictions.
Le geste d’Elsa a, a priori, tout pour être salué. Histoire de passer des paroles aux actes, de mettre ses actions au diapason de ses convictions, cette mère de famille a décidé d’ouvrir les portes de son foyer à un jeune réfugié afin de lui prêter main forte. Originaire d’Afrique, Malik, c’est son nom, est ce que l’administration appelle un « mineur isolé ». A 16 ans, l’adolescent a, comme beaucoup de gens de son âge, des projets plein la tête et le besoin de croquer la vie à pleines dents. Sur la cellule familiale dans laquelle il atterrit, son arrivée va avoir l’effet, aussi inattendu que pasolinien, d’une bombe à fragmentation. Alors qu’Elsa se trouve, rapidement, mise face à ses contradictions, tiraillée entre ses aspirations altruistes et ses préjugés tenaces, et que Christophe, son mari, est contraint d’ouvrir les yeux sur sa situation conjugale critique, leur fille, Ninon, un temps rétive, succombe petit à petit au charme du beau jeune homme.
Inspirée de l’expérience personnelle de son autrice qui, pendant deux ans, a accueilli un réfugié au sein de sa famille, Un certain penchant pour la cruauté révèle, avec finesse et humour, la face cachée de ce geste qui, sous ses atours généreux, peut s’avérer, à l’épreuve des faits, plus compliqué qu’attendu. Avec un goût plus prononcé pour le vaudeville que pour le drame, Muriel Gaudin pointe, non sans grincements, ces petites lâchetés qui couvent sous les grands principes, et ces bons sentiments qui se fracassent sur le mur du réel. Loin d’être une créature chétive qui supplierait qu’on le protège, Malik est, sous sa plume réaliste, un adolescent de chair et d’os qui ne rentre pas, au grand dam d’Elsa, dans les cases qu’elle avait imaginées pour lui, et fait alors exploser, sans qu’elle se l’avoue vraiment, ses certitudes. Si l’histoire tend, au fil de ses nombreuses ramifications – les infidélités de la mère de famille, les doutes sur l’identité du père de Ninon… – à s’éparpiller, à plonger à pieds joints dans la romance, voire à perdre, parfois, son intrigue première de vue, elle n’en reste pas moins un joli miroir où tout un chacun peut, en même temps que les personnages, se voir batailler avec ses faiblesses et ses ambivalences.
A mi-chemin entre le conte et la farce naturaliste, la pièce profite également de la mise en scène de Pierre Notte, qui parvient à caractériser les individus sans les caricaturer. Avec l’aide de la composition musicale de Clément Walker-Viry et de la scénographie modulable à souhait de François Gauthier-Lafaye, il entraîne cette petite famille dans un mouvement perpétuel qui, au-delà de la dynamique scénique qu’il instaure, semble être à la source de l’évolution, à la fois progressive et profonde, de ses membres. Guidés par une direction d’acteurs au cordeau, les cinq comédiens, à commencer par Fleur Fitoussi, Muriel Gaudin et Antoine Kobi, parviennent sans mal à tenir sur cette délicate ligne de crête entre incarnation et distanciation, situations légères et enjeux substantiels, jusqu’à dévoiler, avec panache, ce « penchant pour la cruauté », aussi certain qu’humain, qui, quoi qu’on y fasse, sommeille en chacun de nous.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Un certain penchant pour la cruauté
de Muriel Gaudin
Mise en scène Pierre Notte
Avec Fleur Fitoussi, Muriel Gaudin, Benoit Giros, Antoine Kobi, Emmanuel Lemire, Clément Walker-Viry, Clyde Yeguete, Chloé Ploton
Musique Clément Walker-Viry
Lumière Antonio de Carvalho
Scénographie François Gauthier-Lafaye
Costumes Sarah LeterrierProduction Scène et Public
Coproduction Reine Blanche Productions, Ats Production
Avec le soutien du programme Adami Déclencheur
Avec la participation artistique du Jeune théâtre nationalDurée : 1h20
La Reine Blanche – Paris
du 22 septembre au 19 novembre 2023
Mercredi 19h
Vendredi 19h
Dimanche 16h
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