Ludivine Sagnier porte à la scène le roman autobiographique de Vanessa Springora, Le Consentement. Histoire de sa relation avec Gabriel Matzneff sur fond d’emprise et d’abus, récit libératoire que l’actrice porte avec brio autant qu’elle en interroge une forme de neutralité.
Dans la vague qui, souhaitons-le, emporte avec elle un maximum de nos structures patriarcales, Le Consentement a joué un rôle important. Le livre revenait sur la relation entre Vanessa Springora, alors encore au collège dans les années 80, et Gabriel Matzneff, de plus de trente ans son aîné. Déjà alors auteur plus connu que lu, plus réputé pour le caractère licencieux de ses écrits que pour la qualité de sa prose, racontant à l’envi dans ses journaux sa consommation de jeunes garçons à Manille et ses aventures avec de très jeunes filles par ailleurs, Gabriel Matzneff est aussi le symbole de la permissivité, de la complaisance et même de la fascination d’une société fin de siècle pour des comportements qui généraient le plus souvent des commentaires amusés de la sphère médiatique.
S’il mettait un nom, une histoire et une souffrance réelle sur l’une de ces conquêtes littéraires de Matzneff, Le Consentement a eu également le mérite de souligner que consentement et même plaisir n’excluaient pas la violence de l’emprise ainsi que de mettre en lumière les conditions – psychologiques, familiales, sociales… – ayant rendu possible une telle relation. Ludivine Sagnier s’empare donc de ce témoignage, pour son premier seule en scène, et endosse le rôle de Vanessa Springora d’une manière si convaincante qu’on cède sans cesse à l’illusion de se dire qu’elle parle en son propre nom. Par ailleurs dans une émotion parfaitement juste, dans la mesure où elle est fidèle à l’état d’esprit d’un livre écrit à partir de la douleur mais aussi avec une certaine distance.
Mais s’agit-il seulement de distance ? Un débat a agité la critique à la sortie du livre, autour de sa qualité littéraire. Paru sous l’étiquette de roman, d’autres préféraient en parler comme d’un témoignage, lui retirant par là même la qualité d’œuvre littéraire, sans minorer pour autant son intérêt testimonial. « Qu’est-ce qui fait littérature ? », la question est vieille et vaste comme le monde. Qu’est-ce qui motivait ces critiques ? L’absence d’une voix, d’un style portant le récit, d’une écriture personnelle dépassant la simple relation des faits. Le spectacle mis en scène par Sébastien Davis pose également cette question, et même, la majore. Tant on court à travers les événements et une analyse d’ensemble assez convenue. Un père absent, une mère permissive, un divorce, un certain manque d’amour parental, le narcissisme adolescent aussi fort que la fragilité identitaire qui le nourrit, et puis les circonstances, l’aura d’un homme, et le consentement social. Tout cela traverse cette histoire sans beaucoup étonner. Mais en fait aussi ressortir son caractère ordinaire.
Débardeur saumon et jogging, éternelle moue d’enfant sur assurance d’adulte, Ludivine Sagnier mène le récit dans son déroulement chronologique. Des disputes de ses parents aux premiers émois sexuels en passant par la morgue d’un père qui demande « ça baise » quand sa fille joue avec Ken et Barbie, on arrive aux 13 ans et à la fameuse rencontre. Lui succèdent la relation, l’emprise, la souffrance, la rupture et la difficile reconstruction. Le travail de coupe nécessaire à une adaptation théâtrale accentue la sensation de traverser cette tranche de vie sans que ne se déploie vraiment un regard, une réflexion approfondie. Accompagnée par Pierre Belleville, musicien électro et batteur, Ludivine Sagnier paraît ainsi courir après les événements, sauter d’une action et d’un événement à l’autre, comme emportée par la narrativité du texte. Et quelques transitions maladroitement chorégraphiées n’y changent rien. La question du rôle des livres, de la littérature encadre pourtant ce récit d’une femme qui ne parviendra plus à se saisir comme être de chair, dévorée de l’intérieur qu’elle est par cette pure construction romanesque qu’elle est devenue aux mains de l’auteur. Retournant l’arme contre son agresseur, ce Consentement constitue une victoire sur laquelle boucle le spectacle. D’un Bovarysme de jeune fille à la direction des Editions Julliard qu’occupe maintenant Vanessa Springora, il y a tout le parcours d’une véritable construction de soi, qui n’efface pas tout cependant. Cette histoire, dans sa normalité, n’en demeure pas moins stupéfiante et soulève de multiples questions sur le passé comme sur le futur qu’il faut maintenant, individuellement et socialement, construire.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Le Consentement
Texte Vanessa Springora
Mise en scène Sébastien Davis
Avec Ludivine Sagnier
Musicien Pierre Belleville
Collaboration artistique Cyril Cotinaut
Création musicale Dan Lévy
Scénographie Alwyne de Dardel
Lumières Rémi Nicolas
Production Sorcières&Cie
Coproduction et résidence
Châteauvallon-LibertéDurée 1h20
Du 7 mars au 8 avril 2024
Théâtre du Rond-Point – Paris
Du mardi au vendredi, 19h30 – Samedi, 18h30 – Dimanche, 15h30
Relâche : Les lundis et les dimanches 17, 24 et 31 mars
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