Là où je croyais être il n’y avait personne mélange esprit de sérieux et de dérision en compagnie de Marguerite Duras. D’affres de la création en réflexions existentielles, le duo comique Anaïs Müller et Bertrand Poncet, alias Ange et Bert, construit un spectacle amusant et plein de charme autour de la figure de l’écrivaine.
Lauréats du Prix du Jury du Festival Impatience 2021, Anaïs Müller et Bertrand Poncet sont à ce titre les invités du Festival d’Avignon. Il y a trois ans, ils avaient présenté, dans le Off, Un jour j’ai rêvé d’être toi et leur spectacle, Là où je croyais être il n’y avait personne, repose à nouveau sur leurs deux personnages scéniques fétiches, Ange et Bert. Deux figures clownesques qui ne peuvent pas s’empêcher de parler, de penser à voix haute, à flux continu, deux artistes qui ne se prennent pas plus que ça au sérieux, même s’ils affrontent les aléas de la création. Lui est un peu lunaire, farfelu, elle plus dans la séduction et la malice. Mais leurs rôles se mélangent, s’interchangent tandis que le duo se confronte à son désir de créer, d’écrire qui le conduit à se poser tout un tas de questions à moitié sérieuses tout en empilant des tentatives de création qui échouent régulièrement.
Au début, Ange et Bert adaptent L’homme sans qualités de Musil, mais c’est un échec. Ils décident donc d’écrire un texte eux-mêmes. Comment faire ? Écrire de Marguerite Duras leur tombe dessus comme un cadeau venu du ciel – des cintres – et les deux complices décident alors d’entamer l’histoire d’une sœur qui déclare son amour à son frère. Un projet qui, cette fois, tiendra la route, mais sera mille fois reconsidéré à l’aune des discours de l’écrivaine, un work in progress qui n’aboutira évidemment pas à la fin – et ce n’est pas spoiler que de le dire. Là où je croyais être il n’y avait personne traverse ainsi les difficultés de la création, porté par les réflexions, les nombreux écrits et prises de parole de Duras sur le sujet. Entremêlant les niveaux de narration, Ange et Bert y parlent parfois en leur nom, parfois en celui de Duras, parfois en celui des personnages de leur histoire ou, par l’intermédiaire d’adresses au public, en celui des artistes qu’ils sont. Toutes ces strates se mélangent, tout autant que le sérieux et la dérision de leurs propos pour le plaisir du spectateur qui est chargé de faire le tri.
On traverse donc ce spectacle le sourire aux lèvres. Dans leur salon au mobilier suranné, machine à écrire et verres en cristal sur la table, les deux artistes paraissent parfois s’écarter du texte, dans des moments d’improvisation. On se demande souvent qui parle, où on en est, et l’on prend plaisir à se perdre. En guise de respirations, le duo lance quelques vidéos à l’esthétique poético-rétro qui restent sur la ligne de crête entre pastiche et création. Sur la longueur, le spectacle s’essouffle cependant. Le méli-mélo ne déclenche pas de rires francs et ne laisse pas le temps à une pensée de se construire. La dramaturgie, bien que chapitrée, paraît statique. Et pour cette première, les deux complices semblent hésiter à céder davantage à leur grain de folie. Proposition pleine d’humour, Là où je croyais être il n’y avait personne n’en reste pas moins un spectacle séduisant qui repose sur une forme de joie complice, sur un esprit de dérision en rien nihiliste, et qui déroule, tout en s’en moquant, quelques questions sérieuses et profondes.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Là où je croyais être il n’y avait personne
Conception, texte, jeu Anaïs Muller, Bertrand Poncet
Dramaturgie Pier Lamandé
Musique Antoine Muller, Philippe Veillon
Scénographie Charles Chauvet
Lumière Diane Guérin
Vidéo Romain PierreProduction Compagnie Shindô
Coproduction La Passerelle Scène nationale de Gap, Théâtre d’Arles, Théâtre du Bois de l’Aune (Aix-en-Provence), Comédie de Picardie
Avec le soutien de Région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur, Département des Bouches-du-Rhône, la Drac Provence-Alpes-Côte d’Azur – ministère de la Culture, la Spedidam
Avec l’aide de La Chartreuse-CNES de Villeneuve lez AvignonDurée : 1h15
La Comédie de Reims
du 19 au 21 mars 2024
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