La vitalité et l’engagement de sa formidable troupe n’y pourront rien : le dernier marathon théâtral d’Olivier Py, donné au Gymnase du Lycée Aubanel, se révèle inégal, et peine à s’extraire de la logorrhée obsessionnelle d’un artiste retranché dans sa citadelle assiégée.
Les lieux ont parfois, en eux-mêmes, la force des symboles. Pour sa dernière création en tant que directeur du Festival d’Avignon, Olivier Py n’a pas choisi le Gymnase du Lycée Aubanel par hasard. Il y a 27 ans de cela, le metteur en scène y avait créé sa fameuse Servante, et noué, à cette occasion, son indéfectible histoire d’amour avec la Cité des Papes. En écho lointain à ce marathon théâtral de 24 heures, et malgré l’inconfort certain de l’endroit pour ce type d’épopée, le voilà qui réinvestit cette même salle avec une autre pièce au long cours, Ma Jeunesse exaltée, histoire de boucler la boucle. A l’aube de ce spectacle d’une dizaine d’heures, le lien d’hérédité est d’ailleurs clairement affiché : au milieu d’un proscenium tout en bois, qui ressemble à s’y méprendre à celui que Pierre-André Weitz, son fidèle scénographe, avait conçu pour lui il y a près de trois décennies, trône une servante, tel un inamovible flambeau dans la nuit théâtrale qu’Olivier Py entend désormais transmettre à la jeunesse. Sauf que, là où La Servante avait contribué à propulser le dramaturge et metteur en scène, son dernier opus apparaît tout au plus comme l’énième manifestation de ses sempiternelles obsessions – politiques, religieuses, artistiques –, coincées dans un texte ivre de sa logorrhée et vecteur de la parole d’un artiste qui, en solitaire, voudrait avoir raison contre le reste du monde.
Cette volonté perturbatrice, Olivier Py l’injecte dans la figure d’un Arlequin juvénile. Délaissé par son entourage à qui il n’a cessé de faire avaler des couleuvres, ce livreur de pizzas fait, au gré de ses tournées, la rencontre d’Alcandre, un vieux poète au succès depuis longtemps révolu. Amateur de quatre saisons, qu’il se plait à commander sans les manger, cet ancien Arlequin s’est, on le comprend bien vite, entiché du jeune éphèbe qui, à ses yeux, incarne la relève, la possibilité d’un art théâtral régénéré. De part et d’autre du spectre générationnel, les deux hommes décident alors de nouer une alliance, à défaut d’un pacte faustien, pour lutter contre les nouvelles formes du capitalisme, et permettre un « réveil spirituel » de la société. Dans leur croisade, l’histrion et son mentor peuvent compter sur le soutien d’un quatuor de jeunes acteurs – Alex, Côme, Esther et Octave – qui ont chacun leurs propres marottes, qu’elles soient politiques, écologiques, artistiques ou morbides, à l’image de celles de la jeunesse d’aujourd’hui.
Pour se payer la tête de ceux qui sont aux manettes – un évêque à la vertu toute relative, un ministre de la Culture soumis aux cabinets de conseil et un homme d’affaires, semblable à Vincent Bolloré, dont le surnom de Président traduit parfaitement les ambitions politiques –, la petite troupe va mettre au point un canular. A tous, le tandem fait croire qu’il vient de découvrir un inédit d’Arthur Rimbaud, La Chasse spirituelle, qui n’est, en réalité – comme dans la vraie histoire – qu’un faux subtil écrit par Arlequin. Aveuglé par la bêtise, l’aréopage de décideurs ne tarde pas à tomber dans le panneau et cherche à obtenir le fameux manuscrit par tous les moyens. Gargarisé par leur appétit dévorant, le jeune trublion fait monter les enchères, en monnaie sonnante et trébuchante, mais aussi en demandant à chaque prétendant de se soumettre à une série d’humiliations. Tandis que le ministre prend la fessée, cul nul, par son conseiller qui voudrait bien le remplacer et que le Président défèque sur scène, l’évêque revêt les sous-vêtements en dentelle de la rigoriste Soeur Victoire. Une fois le trio pris dans la nasse, Arlequin révèle le pot-aux-roses à la maison d’édition à qui, finalement, a été mystérieusement vendu le manuscrit. Ivres de rage, publiquement démonétisés, les trois hommes jadis puissants décident alors de nouer une alliance de revers et de fomenter, à leur tour, un canular pour obtenir le scalp d’Arlequin.
Scindée en quatre séquences curieusement autonomes – Les Débuts d’Arlequin, La Trahison d’Arlequin, La Mort d’Arlequin et Le Triomphe d’Arlequin –, cette tétralogie donne, à l’épreuve des planches, l’impression de faire les montagnes russes. Drôle à souhait et enlevée dans sa première partie, elle s’essouffle dans la seconde, avant de reprendre du poil de la bête dans la troisième, et de définitivement s’étioler dans la dernière. Au plateau, la troupe de comédiennes et de comédiens – composée de vieux compagnons de route et de nouvelles recrues – ne démérite pourtant à aucun moment. Comme s’ils avaient un tigre dans le moteur, les unes et les autres profitent de la direction d’acteurs intense chère à Olivier Py pour enflammer la scène. Constamment à la relance, ils semblent dotés d’une source intarissable d’énergie, à commencer par Bertrand de Roffignac, remarquable en Arlequin halluciné, Céline Chéenne, aussi savoureuse en mère la rigueur qu’en comédienne un rien diva, et Xavier Gallais, parfait en Alcandre au comportement doux-amer et aux intentions ambivalentes. C’est d’ailleurs à eux, à leur esprit de troupe et à leur puissance de jeu qui jamais ne faiblit, que le spectacle doit ses meilleurs moments, à l’instar du monologue d’Arlequin qui clôt la seconde partie et de celui d’Alcandre qui dope la troisième.
Malheureusement, ces moments sont rares, bien trop rares, pour parvenir à supporter un ensemble textuel qui courbe l’échine sous les obsessions d’Olivier Py. Déjà exploités, et sur-exploités, dans ses précédents spectacles, notamment dans Les Parisiens, son mysticisme écorné, son rapport complexe aux politiques et sa volonté de révolutionner un art théâtral dépourvu de boussole n’ont plus aucune matière réellement nouvelle à lui fournir. Retranché dans sa citadelle artistique assiégée d’où il perçoit le monde à travers un prisme manichéen, le dramaturge – que l’on peut reconnaître, à la fois, dans Arlequin et dans Alcandre – se contente alors de poncifs et de facilités intellectuelles pour décrire la société et le théâtre tels qu’ils ne vont plus. Logorrhéique à souhait, la pièce lasse par son verbiage excessif et par une utilisation massive, jusqu’à l’overdose, des allégories. Si certaines séquences font mouche, dans l’humour qu’elles déploient ou dans leur charpente lyrique, elles sont entrecoupées d’embardées sexo-scatologiques souvent navrantes – à l’image de ce sonnet sur la merde qu’Arlequin doit composer pour se sortir des enfers – et régulièrement noyées dans un flot textuel ininterrompu qui ne parvient pas toujours à retenir l’attention. Reste que, drastiquement resserré, sans vouloir à tout prix embrasser toutes les thématiques et faire le pari du marathon, ce voyage initiatique aurait pu être l’une des sensations de ce 76e Festival d’Avignon. Las, il restera dans les mémoires comme un sacerdoce aussi inégal qu’osé, loin, très loin, de la splendeur de certains de ses aînés.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Ma Jeunesse exaltée
Texte et mise en scène Olivier Py
Avec Olivier Balazuc, Damien Bigourdan, Céline Chéenne, Pauline Deshons, Emilien Diard-Detoeuf, Xavier Gallais, Geert van Herwijnen, Julien Jolly, Flannan Obé, Eva Rami, Bertrand de Roffignac, Antoni Sykopoulos
Scénographie, costumes et maquillage Pierre-André Weitz
Lumière Bertrand Killy
Son Rémi Berger Spirou
Chansons originales (paroles et compositions) Olivier Py
Composition et percussions Julien Jolly
Composition et arrangements Antoni Sykopoulos
Assistanat à la mise en scène Guillaume Gendreau
Assistanat aux costumes Nathalie BègueProduction Festival d’Avignon
Coproduction Théâtre National Populaire de Villeurbanne, Théâtre de Liège et DC&J Création
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
Avec le soutien du Tax Shelter du Gouvernement Fédéral de Belgique, Inver Tax Shelter
Avec l’aide du Centquatre-Paris, Les Plateaux Sauvages, Odéon-Théâtre de l’Europe
Résidence La FabricA du Festival d’AvignonDurée : 10h10 (entractes compris)
Festival d’Avignon 2022
Gymnase du lycée Aubanel
du 8 au 15 juilletThéâtre Nanterre-Amandiers
les 11, 12, 18 et 19 novembre 2023Théâtre National Populaire, Villeurbanne
les 25 et 26 novembre
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !