Au Festival d’Aix-en-Provence, Tobias Kratzer fait de Moïse et Pharaon de Rossini une pièce d’actualité sur le terrible sort réservé aux réfugiés. Pleine de bonnes intentions, sa mise en scène frise parfois maladroitement la banalité.
Tandis que son Faust survolté poursuit son errance nocturne et urbaine sur la scène de l’Opéra de Paris, Tobias Kratzer embarque à Aix dans un tout autre périple : l’éprouvante épopée d’un peuple tout entier condamné à l’esclavage puis à l’exode, celui des malheureux Israélites d’Égypte qui réclament la délivrance et pour lesquels Moïse s’offre en guide. A travers lui, ce sont tous les réfugiés du monde que veut représenter Kratzer en dépeignant les obstacles et la douleur de l’existence transposée dans un monde occidental contemporain hostile et inhospitalier. L’intrigue se déplace ainsi du terrain religieux à celui du politique. Cela témoigne d’une ambition louable, celle de faire de l’opéra un art à la fois porteur des grands sujets universels et ancré dans les problématiques du temps. Pourtant, la réalisation passe trop souvent pour simplement anecdotique, et donc pas à la hauteur des enjeux humains auxquels elle veut nous confronter.
On attendait donc plus du metteur en scène allemand, l’un des plus stimulants sur la scène lyrique actuelle. Il tenait là une lecture solide, engagée, pertinente de l’ouvrage, mais, à l’épreuve de la scène, le propos n’échappe pas au convenu et au déjà vu. On attendait également plus d’une distribution tout à fait honorable, mais qui expose aussi quelques limites, à commencer par le personnage central, Moïse, traditionnellement représenté en toge et sandales, bâton de pèlerin à la main, semblant tout droit sorti d’un péplum, ses préceptes non pas gravés sur une table des lois, mais immédiatement tatoués sur les avant-bras et le torse. Le rôle est campé par Michele Pertusi, patriarche imposant dont les moyens vocaux accusent une certaine usure.
Tout le monde attendait les débuts aixois de Pene Pati auréolé de ses premiers pas triomphaux sur les scènes de l’Opéra de Paris et de l’Opéra Comique cette saison. Le ténor au somptueux timbre solaire a séduit sans démériter dans le rôle d’Aménophis même si le souffle s’est raréfié et la voix, tendue dans l’aigu, s’est passagèrement grippée. Jeanine De Bique a ému en Anaï. La jeune aimée du prince égyptien a semblé vocalement un peu trop corsetée, mais a fait preuve d’une grande sensibilité. Il faut encore citer le Pharaon d’Adrian Sâmpetrean moins vaillant que le bel Osiride d’Edwin Crossley-Mercer. La mezzo Vasilisa Berzhanskaya a aussi fait forte impression en Sinaïde.
Plus que deux héros éponymes, Moïse et Pharaon sont deux mondes inconciliables exacerbés par un décor dichotomique scindant l’espace en deux : d’un côté le campement, avec ses tentes humanitaires en toile et taules où vivent les migrants molestés par des forces policières casquées et armées ; de l’autre, les bureaux froids d’une élite en costume-cravate qui incarne l’arrogance des pouvoirs dominants à l’abri du réel mais vissés aux écrans de téléphones et d’ordinateurs, aux chaines d’infos où défilent en continu les images de catastrophes écologiques et humaines. S’ils croient tout contrôler du monde, ils révèlent très vite leur totale insuffisance et fébrilité. C’est d’ailleurs eux qui feront naufrage, gisant au milieu des flots, dans un savoureux clip vidéo.
Inspiré par le célèbre récit biblique de la traversée de la mer rouge, Rossini signe en précurseur un « grand opéra à la française » à partir d’une première version italienne largement remaniée et étoffée. Rarement donné, Moïse et Pharaon bénéficie de l’enthousiaste direction musicale de Michele Mariotti qui, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, ne joue heureusement pas la carte de la grandiloquence mais défend, avec autant de panache que d’élégance, l’allégresse comme la gravité contenues dans la partition. Les chœurs réalisent eux aussi une belle performance et se montre poignants dans leur longues déplorations. Il n’empêche que l’œuvre demeure longuette et inégalement captivante, à commencer par ses parties symphoniques surtout agrémentées d’un ballet digne du concert du nouvel an, assez raté.
Après avoir amarré plusieurs barcasses et radeaux gonflables, puis s’être munis de gilets de sauvetage, les exilés prennent la mer qu’ils ouvrent en deux d’une manière spectaculaire, puis s’installent dans les gradins pour chanter leurs prières. Sur scène, un dernier tableau exhibe des plagistes consuméristes installés sur des transats prenant un bain de soleil et contemplant la mer, indifférents au péril qu’elle contient pour la vie des humains.
Christophe Candoni au Festival d’Aix 2022 – www.sceneweb.fr
Moïse et Pharaon de Rossini
Opéra en quatre actes
Livret de Luigi Balocchi et d’Etienne de Jouy
Crée le 26 mars 1827 à l’Académie royale de Musique (Salle Le Pelletier, Paris)
Direction musicale Michele Mariotti
Mise en scène Tobias Kratzer
Scénographie et costumes Rainer Sellmaier
Lumière Bernd Purkrabek
Chorégraphie Jeroen Verbruggen
Vidéo Manuel Braun
Assistant à la direction musicale Alessandro Bombonati
Chef de chant Giulio Zappa
Chef de chant & Répétiteur de langue Mathieu Pordoy
Assistante à la mise en scène Ludivine Petit
Assistant à la mise en scène Stefan Czura
Assistante aux costumes Nathalie Pallandre
Assistante à la scénographie Clara-Luisa Hertel
Collaborateur à la vidéo Jonas DahlMoïse, Michele Pertusi
Pharaon, Adrian Sâmpetrean
Anaï, Jeanine De Bique
Aménophis, Pene Pati
Sinaïde, Vasilisa Berzhanskaya
Eliézer, Mert Süngü
Marie, Géraldine Chauvet
Osiride, Une voix mystérieuse, Edwin Crossley-Mercer
Aufide, Alessandro Luciano
Elegyne, princesse syrienne, Laurène AndrieuFigurantes et figurants (scène) Paule Aglietti , Justine Assaf , Vinciane Ermélinda, Azani Ebengou, Loïc Basille, Laetitia Beauvais, Alex Boulin, Maëlle Charpin, Sara Chiostergi, Laura Colin, Gilbert Cordier, Robin Denoyer, Tibo Drouet, Pascal Gabit, Bastien Girard-Lucchini, Anna Kuchev
Figurantes et figurants (vidéo) Boris Alessandri, Mickey Aubertin, Loïc Basille, Florence Bonnano, Kilian Chapput, Laurence Galindo, Marjorie Garraud, Simon Gillet, Eric Grimigni, Mathieu Imbert, Léa Keiflin, Patrick Marconi, Philippe Martel, Alice Moinet, Thomas Mora, Franck Nouzies
Noémie Nowak, Thomas Pasquelin, Stephan Pastor, Marguerite Pinatel, Marlène Rabinel, Jean-Pierre Reginal, Ophélie Rehm, Cyrielle VoguetChœur de l’Opéra de Lyon
Chef de choeur, Richard Wilberforce
Orchestre de l’Opéra de LyonDurée : 3h30 (entractes compris)
Festival d’Aix-en-Provence
Théâtre de l’Archevêché
les 7, 9, 12, 14, 16 et 20 juillet 2022Opéra de Lyon
du 20 janvier au 1er févirer 2023
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