Le metteur en scène Russe, Lev Dodine, s’est adressé dans un courrier à Vladimir Poutine lui demandant d’arrêter la guerre publié sur le site du du magazine THEATR. Lev Dodine dirige le Maly Drama Théâtre de Saint-Pétersbourg. Il a souvent été invité en France. Fin 2009, la MC93 Bobigny avait présenté une rétrospective retraçant vingt-cinq ans de ses mises en scène. En 2012, il met en scène La Dame de pique à l’Opéra Bastille. En 2015, le Monfort avait présenté La Cerisaie.
Dire « choqué » est un euphémisme. Il m’était impossible, à moi, enfant de la Grande Guerre patriotique, même dans un cauchemar, d’imaginer des missiles russes visant des villes, des villages ukrainiens, poussant les habitants de Kiev dans des abris anti-bombes, les forçant à fuir leur pays. Enfants, nous avons joué la défense de Moscou, Stalingrad, Leningrad, Kiev. Il est même impossible d’imaginer qu’aujourd’hui Kiev soit sur la défensive ou se rende aux soldats et officiers russes. Le cerveau colle au crâne et refuse de se voir, de s’entendre, de se dessiner des images semblables.
Les deux dernières années de la peste universelle auraient dû nous rappeler à tous, vivant de tous côtés de diverses frontières, combien la vie humaine est fragile et vulnérable, comment le monde s’effondre en une minute lorsque nous perdons des êtres chers. Ils n’ont pas rappelé. De nos jours, le monde de ceux dont les proches meurent s’effondre, le monde de ceux qui tuent les proches de quelqu’un s’effondre.
La miséricorde, la pitié, l’empathie ne cèdent pas à la volonté des États et des politiciens. Il est impossible de dicter aux gens quand et pour qui ils doivent avoir peur, quand et pour qui ils doivent avoir pitié. Jusqu’à présent, pas un seul État n’a appris à contrôler les sentiments des gens. La mission de l’art et de la culture a toujours été et est, surtout après toutes les horreurs du XXe siècle, d’apprendre à chacun à percevoir la douleur d’autrui comme la sienne, à comprendre qu’aucune idée, la plus grande et la plus belle, n’est vaut une vie humaine. Maintenant, nous pouvons déjà dire : la culture et l’art ont encore une fois échoué à faire face à cette mission.
J’ai soixante-dix-sept ans, il ne m’est pas difficile d’imaginer ce qui va se passer ensuite partout et partout : la division entre le bien et le mal, la recherche d’ennemis intérieurs, la recherche d’ennemis extérieurs, les tentatives de modeler le passé, venir se réconcilier avec le présent, réécrire le futur. Tout cela était déjà au 20e siècle.
Ces jours-ci, nous avons vécu pour voir l’avenir. C’est à cette époque que le 21e siècle a commencé. Ensemble, nous avons permis à cet âge de venir. Arrivez comme il l’a fait. Le 21e siècle s’est avéré pire que le 20e siècle. Que reste-t-il à faire ? Prier, se repentir, espérer, plaider, exiger, protester, espérer ? Probablement tout ce que nous n’avons pas fait jusqu’ici : aimer l’autre, pardonner à l’autre comme on se pardonne, ne pas croire au Mal et ne pas prendre le Mal pour le Bien.
J’ai soixante-dix-sept ans, dans ma vie j’ai perdu tant de personnes que j’aimais. Aujourd’hui, alors que les fusées de la haine et de la mort volent au-dessus de nos têtes au lieu des colombes de la paix, je ne peux dire qu’une chose : stop ! L’organisme humain n’est pas traité par des opérations chirurgicales. De toute intervention chirurgicale, celui qui est opéré saigne, et celui qui opère devient infecté par une septicémie incurable. Arrêtez la chirurgie. Appliquez des garrots sur les plaies. Faisons l’impossible : faisons du XXIe siècle tel qu’il a été rêvé, et non tel que nous l’avons fait. Je fais la seule chose que je peux : je vous supplie d’arrêter ! Arrêter. »
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