Dans Out of the blue, créé dans le cadre du festival Spring, Frédéri Vernier et Sébastien Davis-VanGelder mêlent leurs passions pour l’acrobatie et la plongée en s’immergeant dans un dispositif spectaculaire : un aquarium de 8000 litres d’eau. Ils l’investissent avec subtilité, en interrogeant par les gestes et les mots ce que cet environnement aquatique peut révéler de l’acrobatie, et vice-versa.
Haut de plus de deux mètres, d’une ouverture d’au moins trois mètres et d’une contenance de 8000 litres, l’aquarium qui occupe seul le plateau d’Out of the blue concentre d’emblée tous les regards. Perchés à son sommet comme deux oiseaux étourdis, surpris de se retrouver si haut et face à tant d’eau, Frédéri Vernier et Sébastien Davis-VanGelder ne regardent pas entrer les spectateurs : ils s’observent l’un l’autre, l’air aussi inquiet qu’excité. Ils sondent la profondeur du bassin aussi, avec un regard pareil à celui qu’un trapéziste ou un fildefériste pose sur son agrès, plein d’une confiance non dénuée d’une certaine appréhension. Acrobates de formation et de métier, mais aussi versés de longue date dans les sports et pratiques qui ont rapport à l’eau – le premier est instructeur d’apnée, le second a commencé sa vie professionnelle comme maître-nageur –, les deux artistes qui signent ensemble leur première création font du bassin qu’ils ont eux-mêmes conçu et de l’eau qu’il contient leur agrès. Une idée originale, mais dont on peut redouter les dangers. Si pour un aquarium, 8000 litres sont beaucoup, on peut craindre qu’ils représentent pour deux hommes spécialistes du geste un environnement trop limité. Ils nous rassurent très vite. Et même nous étonnent.
Sous le regard expert de Frédéri Vernier, l’immersion de Sébastien Davis-VanGelder qui ouvre Out of the blue pose la démarche des deux complices : loin de n’être qu’un élément parmi d’autres du spectacle, l’apnée en est le cœur. Elle y est traitée comme une discipline de cirque, dont les artistes prouvent ainsi la capacité à élargir son spectre, à prendre des formes très éloignées de celles que l’on connaît. Le spectacle donne à voir les possibles de cette nouvelle discipline, sans toutefois se limiter à une illustration ni à une succession de morceaux de bravoure aquatique. Une fois dans l’eau, dont ils ressortent régulièrement pour prendre de l’air, les deux artistes semblent se confronter à leur aquarium pour la première fois. Subtilement, Frédéri et Sébastien adoptent pour cela une forme d’humour proche du clown sans en être tout à fait. Figures plus que personnages, ils se forgent au contact de l’eau des personnalités fluctuantes, faites d’habitudes aquatiques qui pour la plupart disparaissent dès que survient une nouvelle découverte. Ce n’est pas pour rien qu’à La Brèche où ils ont été accueillis en résidence et où leur pièce a été créée dans le cadre du festival Spring, Frédéri et Sébastien sont surnommés les « bébés nageurs ».
Curieux en diable, les acrobates tentent toutes sortes de manières d’évoluer dans leur nouveau milieu. D’abord, ils cherchent à reproduire dans l’eau le répertoire de figures qu’ils pratiquent sur terre en tant que porteurs de main à main. Mais dans l’eau, tout déplacement nécessite des manœuvres très différentes de celles que l’on fait à la surface. Pour faire un tour sur eux-mêmes, les nageurs découvrent qu’ils n’ont besoin que de quelques moulinets des mains. Tandis que pour tenir droit sur le sol, il leur faut se saisir d’une grosse pierre, à laquelle ils inventent différentes fonctions avant de la laisser tomber au profit d’un autre objet venu d’on ne sait où. Car dans le petit univers apparemment fermé d’Out of the blue, le monde s’invite sous des formes d’abord plutôt sympathiques, puis plus menaçantes. Après des verres, des pailles et quelques pichets avec lesquels ils concoctent une scène d’apéro proche de celles qu’on voit dans les films de voyage dans l’espace, absurde à souhait, ce sont des sacs en plastique qui rejoignent le bassin. La fête devient cauchemar.
Le spectaculaire d’Out of the blue, son statut de curiosité dans le milieu du nouveau cirque et dans celui de la plongée – le magazine Plongez, par exemple, lui a consacré plusieurs pages – , n’empêchent donc pas Frédéri Vernier et Sébastien Davis-VanGelder de s’immerger dans des zones plus graves, parfois sombres. Au-delà de la question écologiste, le duo interroge la notion de relation au sens large : avec l’autre, avec les objets, l’environnement, l’étranger… Qu’il soit léger ou plus dramatique, chaque tableau d’Out of the blue touche à l’un ou l’autre de ces aspects par la seule rencontre de la plongée et du cirque, que les deux « bébés nageurs » dont la pièce raconte aussi l’évolution savent décliner de très nombreuses et riches manières. Finement mis en scène, leur travail sur le souffle donne à l’ensemble une fragilité qui contraste avec le dispositif dont les lumières de Vincent Griffaut soulignent bien tous les aspects. S’ils font largement preuve de leurs qualités circassiennes et aquatiques, les deux artistes expriment aussi une humanité faillible, qui a besoin de l’autre pour exister et s’épanouir.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Out of the blue
Création et interprétation : Frédéri Vernier et Sébastien Davis-Vangelder
Dramaturgie : Delphine Lanson
Regard extérieur : Mathieu Despoisse
Consultant technique apnée : Rémy Dubern
Régie générale : Nicolas Julliand
Création lumière : Vincent Griffaut
Création sonore : Hans Kunze
Construction aquarium : Franz Clochard
Costumes : Emmanuelle Grobet
Production : AY-ROOP / Olivier DacoProduction : La Dérive
Coproduction : La Maison, Scène conventionnée Art en territoire, Nevers ; Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie / La Brèche à Cherbourg et le Cirque-Théâtre d’Elbeuf ; Théâtre Firmin Gémier, La Piscine, PNC, Anthony ; La Passerelle SN, Gap ; Espace Malraux SN, Chambéry ; Le Sirque PNC, Nexon ; Le Carré Magique, PNC, Lannion ; Culture Commune, SN du bassin minier du Pas-de-Calais ; Les Halles de Schaerbeek, Bruxelles ; AY-ROOP, Scène de Territoire pour les arts de la Piste, Rennes
Soutien : AY-ROOP, Scène de Territoire pour les arts de la Piste, Rennes ; avec l’aide précieuse de Blue Addiction, La Londe-les-Maures
La Brèche à Cherbourg dans le cadre du Festival Spring
18 et 19 mars 2022
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