Marguerite Bordat et Pierre Meunier, duo complice aux prises avec la matière
Marguerite Bordat et Pierre Meunier rendent hommage au grand inspirateur des spectacles de la compagnie La Belle Meunière, le philosophe Gaston Bachelard, dans un projet ample et musical répondant au nom de Bachelard Quartet. Une immersion sensuelle et sonore dans l’œuvre fascinante d’un penseur à part à vivre au Nouveau Théâtre de Montreuil tandis que dans le cadre du Festival BRUIT, l’Aquarium accueille deux inénarrables solos de Pierre Meunier, Au Milieu du désordre et La Bobine de Ruhmkorff .
A l’occasion de cette nouvelle création et de ces deux reprises, nous avons eu envie de rencontrer ce binôme fertile pour nous immiscer dans leur fabrique artistique.
Pierre et Marguerite, rien que de prononcer vos prénoms, s’amorce une rêverie autour du minéral et du végétal, vous vous êtes trouvés on dirait…
Marguerite Bordat : Oui avec Pierre, c’est une rencontre évidente. Il m’a proposé de venir collaborer avec lui à l’époque où j’étais encore scénographe pour Joël Pommerat et ce qui m’a intéressée d’emblée c’est que Pierre invite les gens en tant qu’artiste et être humain avant tout, avec le désir de fabriquer ensemble autour d’une rêverie commune. Je crois que Pierre et moi on a ce même rapport au temps et à la solitude, ce même plaisir à manipuler la matière, la faire dialoguer avec ce qui l’entoure, la confronter aux humains qui l’animent. L’envie de faire surgir de l’atelier une forme théâtrale plutôt que de pondre un décor pour y faire du théâtre dedans. Moi qui viens de la scénographie, je pense que je suis une sculptrice frustrée. Et ma rencontre avec Pierre coïncide avec un moment où j’avais besoin d’aller plus loin dans une recherche plus globale, au-delà de la scénographie, de m’impliquer dans la dramaturgie.
Pierre Meunier : Avec Marguerite, il y a un ping-pong permanent entre nous, c’est une très grande stimulation. On se comprend bien, on avance assez vite parce qu’à nous deux, les doutes sont féconds, discutés, soumis à l’épreuve du plateau. On n’est pas toujours d’accord mais c’est sain, ça introduit de la variation, ça contribue à une atmosphère de recherche qui ne s’arrête pas aux frontières de notre duo. A tous les postes, que ce soit la régie, le son, la lumière, l’aventure doit être partagée, on progresse dans un même état d’esprit, tous concernés à un endroit intime qui appartient à chacun.
Quand on revient sur les précédentes créations, Marguerite Bordat est citée comme collaboratrice artistique. A partir de Forbidden di sporgersi, vous co-signez la mise en scène, il y a eu un tournant avec ce spectacle…
Marguerite Bordat : Oui et ça a été un moment très exaltant pour moi car je pouvais enfin aller au bout de certaines expériences de recherche, d’une forme de radicalité que j’avais envie d’explorer. A partir de ce spectacle, il a été évident pour Pierre et moi qu’on allait continuer à co-mettre en scène. Et puis Pierre a racheté le Cube, dans l’Allier, et c’est devenu notre endroit de repli, notre atelier de travail, c’est là-bas qu’on existe réellement, sans les masques, à œuvrer dans l’ombre avec la matière.
Votre dernière création, Bachelard Quartet, diffère par sa durée, bien plus longue que vos précédents spectacles, et par son matériau littéraire, les écrits de Bachelard…
Pierre Meunier : Je voulais faire entendre ma source d’inspiration première car l’œuvre de Bachelard est présente depuis le début, dans toutes les créations de la Belle Meunière, mais en sous-texte. Là on plonge dans sa langue qui, je trouve, a une grande qualité d’oralité. Ses textes sont magnifiquement écrits pour la parole. Sa langue est précise, fleurie, gourmande. Elle est datée mais pas vieillotte, imprégnée de vie et d’enthousiasme. C’est une matière incroyable à articuler, à rendre vocalement dans ses sonorités.
Marguerite Bordat : En fait, on s’est vraiment emparé des phrases, des mots, des sons comme d’une matière avec l’envie d’une grande veillée nocturne, une traversée poétique. On sentait que la clef c’était de prendre le temps et de faire cohabiter le texte avec la musique. En invitant deux instrumentistes de la compagnie Frotter | Frapper, Jeanne Bleuse et Noémi Boutin, des solistes exceptionnelles, à partager le plateau avec Pierre, on est parti sur l’idée de créer un espace vibrant où tout résonne, que ce soit la voix, les instruments, le son diffusé. Ma crainte était de faire une lecture-concert. Ce n’est pas le cas. On a imaginé un dispositif immersif et rassembleur qui permet d’être au plus près de la dimension charnelle et sensuelle qu’il y a chez Bachelard.
Vous pouvez me décrire ce dispositif ?
Marguerite Bordat : on a littéralement construit notre propre lieu, qui repose sur un principe de convivialité et de proximité, pour le poser sur les plateaux des théâtres. Quand on lit Bachelard, on a toujours la sensation d’être autour d’un foyer. Donc on voulait absolument casser le 4ème mur, sortir de toute sacralisation de la scène et réunir les gens. Avec Géraldine Foucault qui est conceptrice sonore, on a inventé un espace qu’on a appelé une “sonographie”, au lieu de scénographie. Les spectateurs sont entourés de parois en bois sur lesquelles on a fixé des transducteurs qui permettent de diffuser le son à travers le bois. Le son vient donc autant du plateau, du centre que de derrière et autour. Comme si on était à l’intérieur d’une énorme caisse de résonance, d’un immense instrument de musique.
Pierre Meunier : L’idée, avec ce dispositif sonore, c’est de faire entrer le spectateur dans un certain état propice à l’écoute et la réception de la matière verbale. Propice à s’ancrer dans le présent, à profiter d’être là, à entrer dans une rêverie intime et active générée par la pensée de Bachelard qui est à la fois très concrète et un véritable combustible à imaginaire. Chez Bachelard, il y a toujours une sorte de conditionnel en sous texte, on n’est pas dans une posture professorale ni dans l’affirmation définitive d’une vérité. Tout ce dont il parle c’est éprouvé, chargé de ressenti et c’est en cela que c’est incontestable, humble aussi, et souvent très malicieux, plein d’humour.
Quel est votre corpus de textes ?
Pierre Meunier : On a pioché essentiellement dans les livres qui explorent les quatre éléments, notre fil conducteur. “L’Air et les songes”, “L’Eau et les rêves”, “La Psychanalyse du feu”, “La Terre et les rêveries du repos”, “La Terre et les rêveries de la volonté”.
Et votre corpus musical ?
Marguerite Bordat : C’est une traversée de la musique savante du XXème siècle jusqu’à des musiques très récentes qui sont le fruit de propositions de Jeanne Bleuse et Noémi Boutin, les deux musiciennes virtuoses qui nous accompagnent sur le projet et au plateau. On ne voulait pas aller vers des airs trop connus mais au contraire ouvrir du désir, donner accès à des compositeurs dits difficiles par l’imbrication avec le texte. On y entend Béla Bartok, György Ligeti, Claude Debussy, Benjamin Britten, Henry Cowell, Franz Schubert ainsi que des ajouts de sons électroniques. Le son a vraiment été utilisé comme un matériau au même titre que le texte. J’ai travaillé la forme comme en sculpture, en coupant, en rajoutant, en déplaçant, en superposant. La matière n’était ni de la terre, ni de l’eau, ni du feu mais du son, celui de la voix de Pierre, des instruments en présence et de la bande-son enregistrée.
Pierre Meunier : On ne voulait surtout pas représenter physiquement les quatre éléments au plateau, on ne voulait pas être illustratif ni didactique.
Un dernier mot sur Bachelard ?
Pierre Meunier : Il y a vraiment l’idée chez lui que chaque matière a son onirisme, qu’elle est un conducteur pour l’imaginaire. La lecture de Bachelard est vraiment un vecteur magnifique pour apprécier le monde, enrichir la relation que nous entretenons avec lui, relation mise à mal dans cette période. L’écouter fait du bien.
Propos recueillis par Marie Plantin – w.sceneweb.fr
Bachelard Quartet
Du 20 au 27 janvier
Au Nouveau Théâtre de MontreuilAu Milieu du Désordre
Samedi 29 janvier à 20h30, dimanche 30 janvier à 17h
Au Théâtre de l’Aquarium – Cartoucherie
Dans le cadre du Festival BRUITLa Bobine de Rumhkorff
Vendredi 4 février et samedi 5 février à 20h30
Au Théâtre de l’Aquarium – Cartoucherie
Dans le cadre du Festival BRUIT
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