Seul en scène, David Nathanson plonge dans la prolifique production de lettres de François Truffaut et ravive une époque autant que la personnalité du cinéaste cinéphile. Truffaut-Correspondance met le pouvoir de l’écrit et du cinéma au cœur de son dispositif pour en extraire la théâtralité intrinsèque.
Ils sont déjà là quand le public s’installe dans la petite salle du théâtre Transversal, au cœur d’Avignon. Ils sont deux. L’un pianote nonchalamment sur le clavier d’un piano incrusté dans une table en bois. C’est Antoine Ouvrard (en alternance avec Pierre Courriol), préposé à la musique en live. Sa présence instaure d’emblée un cadre mélodieux et chaleureux, de proximité et d’hospitalité. L’autre à ses côtés, c’est le comédien David Nathanson, familier des seuls en scène inspirés d’œuvres non théâtrales à proprement parler, comédien solide et élégant, à l’image de ce décor de bon goût, parsemé de livres, revues et coupures de presse. On a pu le voir dans l’adaptation du roman épique, Le Nazi et le barbier de l’auteur allemand Edgar Hilsenrath ou dans D’autres vies que la mienne qui tirait sa matière poignante du roman éponyme d’Emmanuel Carrère.
Avec Truffaut-Correspondance, il s’attèle, en binôme avec Judith d’Aleazzo à la mise en scène, à la foisonnante correspondance du cinéaste de la Nouvelle Vague, connu pour nombre de films devenus des classiques, de L’Enfant sauvage à Jules et Jim en passant par Le Dernier Métro, La Femme d’à côté, Baisers volés ou Les 400 coups parmis tant d’autres oeuvres cinématographiques mémorables du cinéma dit d’auteur. Outre ses films peuplés d’acteurs et d’actrices phares de l’époque – dont Jeanne Moreau, Fanny Ardant, Catherine Deneuve, Françoise Dorléac, Isabelle Adjani, Depardieu, sans oublier son double à l’écran, Jean-Pierre Léaud, dont il lança et propulsa la carrière, sa vie fut à elle seule un roman et lui, un cinéaste littéraire doublé d’un lecteur insatiable doté d’une propension prolifique à l’écriture. S’il fit partie des fameuses plumes critiques des Cahiers du Cinéma dans une période faste et mythique qui vit le 7ème Art basculer les deux pieds dans la modernité, il fut également l’auteur d’une correspondance dantesque recueillie par Gilles Jacob et Claude de Givray et regroupée dans une édition unique comprenant la somme considérable de lettres écrites entre 1945 et 1984.
En effet, et on le découvre dans ce spectacle passionnant, Truffaut écrivait quotidiennement. Parmi ses destinataires, sa famille culturelle de cœur et d’esprit, Georges Simenon, Alain Souchon, Louis Malle, André Bazin, Jean-Louis Bory, et bien sûr, son confrère devenu ennemi, Jean-Luc Godard. Truffaut écrivait bien, d’une plume fluide et limpide, ses lettres sont à l’image de ce qu’il était, pleines d’enthousiasmes, d’élans et de colères, honnêtes et franches, solidaires ou vindicatives. Il y défend ses opinions autant que le cinéma d’auteur et ses pairs, son amour des livres et son attachement à la liberté d’expression et de la presse, il ne mâche pas ses mots, règle ses comptes avec Godard sans y aller de main morte en une diatribe aussi terrible que drôle à écouter avec le recul. Avec un sens du rythme et de la transmission aux petits oignons, David Nathanson s’empare de ce bijou épistolaire avec un tact et une élégance folle. Sobre ou emporté, il ne cherche pas l’imitation ni l’incarnation mais se fait le passeur de cette matière sensationnelle, aussi personnelle qu’historique, révélatrice d’un homme et d’une époque. Ou plutôt d’un homme dans son époque. Et quel homme ! Un cinéaste accompli doublé d’un cinéphile averti.
Tout, dans ce spectacle d’une belle facture classique, sonne juste et nous plonge dans une époque identifiable et révolue, depuis le costume des interprètes jusqu’au mobilier de la scénographie (belle réalisation de Samuel Poncet). Idée astucieuse, une table à cour tourne sur elle-même tandis qu’une micro caméra intégrée au pied de la lampe qui l’éclaire en filme le contenu projeté en direct sur grand écran. On pénètre ainsi dans le détail d’archives manuscrites via l’écran de cinéma, page blanche par excellence, dans un décor qui fait le lien entre les deux passions de l’artiste. Cinéma et littérature réunis par la grâce du théâtre. De vieux exemplaires des Cahiers du Cinéma jonchent le sol, ici un tableau, là une pile de livres, on entre dans l’intime autant que dans l’époque et cet entre-deux fait le sel de ce spectacle subtil et cohérent. Ecouter, post mortem, la parole de François Truffaut à travers son immense production épistolaire distille une émotion ondoyante. Son extraordinaire franchise, sa tornade de piques à Godard, sa véhémence autant que sa tendresse, sa gratitude envers André Bazin, sa détestation de sa mère et pour finir la complicité espiègle et joueuse avec ses filles à qui il écrit depuis Hollywood, David Nathanson met à notre portée la personnalité de cet homme surprenant et attachant. Sans en faire trop, en se laissant entraîner par le flux des mots, en respectant la mélodie interne de chaque lettre, le comédien parvient à faire théâtre d’une matière éminemment littéraire. Jolie gageure.
Une chose est sûre, on savoure ce spectacle d’autant plus qu’on est cinéphile, qu’on a vu les films de Truffaut, qu’on reconnaît les musiques cultes qui l’irriguent, entre mélancolie et élans primesautiers, clins d’oeils joués en direct avec grâce (évocations des bandes originales de Jules et Jim ou des 400 coups en passant par le célèbre air du Mépris de Georges Delerue, tubes de jazz, Debussy…). Mais c’est aussi un spectacle qui éveille un fort et nécessaire désir de cinéma, qui tisse un lien avec son Histoire, qui ravive un passé culturel en nous rappelant à bon escient une période fondamentale d’épanouissement du 7ème Art et de la critique en regard.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Truffaut-Correspondance
d’après le recueil de correspondance de François Truffaut
mise en scène Judith d’Aleazzo et David Nathanson
avec David Nathanson
au piano Antoine Ouvrard ou Pierre Courriol
scénographie Samuel Poncet
création lumière Julie Lola Lanteri et Erwan Temple
avec le soutien de la Spedidam, de la Manekine et des Tréteaux de FranceDurée : 1h15
A partir de 12 ansdu 18 septembre au 10 novembre 2024
Lucernaire – Paris
mardi au samedi à 19h
dimanche à 15h30
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !