Pier Porcheron adapte, met en scène et interprète avec Marion Lubat la nouvelle Première Neige de Maupassant. Avec toutes sortes d’objets, souvent du quotidien, tous les deux bricolent une bien réjouissante tragédie.
Lorsqu’ils nous accueillent, Pier Porcheron et Marion Lubat ont presque l’air d’un vrai couple. Ce que nous allons voir, nous disent-ils avec une gêne joliment feinte, n’était pas au départ destiné à sortir de leur intimité. S’ils ont adapté la nouvelle Première Neige de Maupassant sous forme de pièce radiophonique, bafouillent-ils à moitié, c’est d’abord pour surmonter un autre type de nouvelle, d’ordre médical : ils ne pourront pas avoir d’enfant. Ils se sont enfermés chez eux et, bien que pas professionnels du tout en matière de radio ni de théâtre, ils ont transformé leur appartement en studio d’enregistrement, aidés par leur voisin Roland, musicien qu’ils nous invitent à saluer en pointant du doigt la régie. Par cette introduction toute simple, aux airs autofictifs, Pier Porcheron et Marion Lubat placent d’emblée le grand Maupassant à hauteur de table de salon. C’est d’ailleurs sur un tel meuble, légèrement relooké pour la situation, que les deux artistes déploient la tragédie qui n’est pas sans rapports avec le récit initial.
Au cœur du spectacle, ce lien entre les interprètes – ou leurs doubles théâtraux plus ou moins fidèles aux originaux – et le texte de Maupassant en détermine la forme. Pour donner vie à l’héroïne de Première Neige, une jeune femme contrainte de quitter la vie parisienne qu’elle adore pour se marier avec un Normand qui l’emmène vivre dans son froid et sinistre château, les deux complices n’ont qu’à tendre régulièrement la main vers le haut de leur petite installation pour saisir l’un ou l’autre des nombreux objets en suspens. Réveil, gant en caoutchouc, figurines en plastique, lampe de chevet… Attachées à des ficelles, ces choses diverses et variées servent parfois au couple à illustrer le triste destin de leur protagoniste, dont l’un des malheurs est aussi la stérilité. Mais le plus souvent, elles sont détournées de leur usage habituel pour être transformées à vue en sons amplifiés par les deux micros installés d’une part et d’autre de la table où l’œuvre de Maupassant subit ainsi une opération des plus rajeunissantes.
L’apparente simplicité du dispositif est à l’image de l’amateurisme simulé par les artistes : elle repose sur un mécanisme complexe, et sur une réflexion fine à l’endroit de la place de la littérature dans la vie. En particulier de la littérature classique, dont Pier Porcheron fait son terrain de prédilection depuis sa précédente création, qui est aussi la première de sa compagnie Elvis Alatac : Il y a quelque chose de pourri, adaptation de Hamlet de Shakespeare pour deux hommes – un comédien et un bruiteur – et un tas d’objets divers qui surgissent au milieu d’un castelet de fortune. En mettant en scène dans Première Neige la rencontre entre un quotidien d’aujourd’hui et une fiction d’hier, l’artiste prolonge son expérience de mélange entre des genres et des registres éloignés. Son rapport particulier à l’objet comme matière à transformer pour faire son et narration est pour beaucoup dans le charme de la proposition. Sa dimension clownesque aussi, héritée d’une formation en Italie à l’art du comique corporel, notamment à travers l’usage du masque de commedia dell’arte.
La grande fraîcheur de Première Neige n’est pas de celles que laissent dans leur sillage les élans spontanés. Sa part d’enfance, la pièce la tient d’une conquête d’autant plus réussie qu’elle ne se donne pas à voir, qu’elle n’exhibe pas sa virtuosité. Grâce à l’inventivité des deux interprètes dans leur castellet-studio, le tragique de la nouvelle de Maupassant se voit atténué : s’ils disent bien l’enfermement de l’héroïne dans le destin que d’autres lui ont fabriqué, Pier Porcheron et Marion Lubat le font en montrant qu’une autre réalité est possible. Si un torchon peut devenir un oiseau, ou des crânes presse-papiers devenir des chevaux au trot, n’est-il pas autorisé de penser que des transformations plus grandes sont possibles ? Par exemple, à bien y regarder, Première Neige n’est-il pas une sorte de bébé de substitution pour le couple qui en porte le récit ? Ce n’est pas par politesse que nous leur disons : voilà un bien beau nourrisson.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Première Neige
Mise en scène : Pier Porcheron
Ecriture : Guy de Maupassant, Christian caro et Pier Porcheron
Avec : Pier Porcheron et Marion Lubat
Création sonore : Romain Berce
Musique live : Josselin Arhiman en alternance avec Pierre Phelipon
Scénographie : Pier Porcheron et Philippe Quillet
Création et régie lumière : Philippe Quillet
Décors : Daniel Peraud et Sophie Burgaud aux ateliers Chez Eux
Production: Cie Elvis Alatac
Coproduction: Le Passage –scène conventionnée d’intérêt national art et création de Fécamp, Festival MIMA de Mirepoix, L’Hectare – Centre national de la Marionnette en préparation du Territoires Vendômois, L’Echalier Agence rurale de développement culturel de St-Agil, L’espace Jean Vilar de Ifs, OARA, Espace Jéliote, scène conventionnée arts de la marionnette d’Oloron-Ste-Marie, Le Sablier –Centre national de la Marionnette en préparation à Ifs et Dives-sur-Mer
Soutiens: Région Île-de-France, Ville de Poitiers, Région Nouvelle-Aquitaine, DRAC Nouvelle-Aquitaine, La Nef-Manufacture d’Utopies à Pantin, La Maison du Comédien Maria Casarès à Alloue, La Comédie Poitou-Charentes à Poitiers.
Durée : 1h
CDN de Béthune
16 et 17 mai 2023
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