Au Palais Garnier, une nouvelle production des Noces de Figaro place le chef-d’œuvre de Da Ponte et Mozart dans le petit milieu du théâtre en s’appuyant, de manière plus soignée que fouillée, sur le plaisant principe de la mise en abîme.
Un plateau quasi vide et plongé dans le noir, trois loges contiguës, une costumerie ou encore un studio de répétition dédié à la danse, l’inventif et beau décor dans lequel prend place Les Noces de Figaro est tout cela en même temps et fait voyager de la cage de scène aux coulisses du Palais Garnier animé par un ballet de personnels variés. Figaro y est perruquier, Suzanne est habilleuse. Almaviva surplombe l’ensemble de sa hauteur placide comme un intendant tout-puissant occupé ici et là à faire répéter une jeune ballerine ou à auditionner une cantatrice accompagnée au piano par Basilio devenu chef de chant. Amusante et habile, la transposition que propose la metteuse en scène anglaise Netia Jones se présente comme une mise en abîme efficace, et ce notamment à grand renfort d’images et d’idées référentielles qui permettent d’exhiber et d’affoler les « dessous » d’un théâtre ainsi que toute sa machinerie pour mieux faire pénétrer derrière l’illusion qu’offre la représentation. Le procédé n’est certes pas nouveau. Robert Carsen en a été le Maître sur les scènes de l’Opéra de Paris. Netia Jones lui rend d’ailleurs un volontaire (?) hommage lorsqu’elle ouvre et fait briller de mille feux le foyer situé à l’arrière-scène en image finale.
Sauf que chez elle, le théâtre est moins le lieu de l’illusion qu’un espace social dominé comme un autre par son organisation hiérarchique et son activité grouillante. Par conséquent, il n’est pas du tout déconnecté de la réalité. C’est d’ailleurs devant un ordinateur portable que Figaro chante ses toutes premières mesures tandis qu’Almaviva a l’œil et le doigt rivés sur son téléphone mobile. D’autre part, et forcément moins anecdotique, s’invitent à la noce de brûlantes questions d’actualité dans la mesure où la mise en scène fait écho au mouvement #MeToo en laissant s’exprimer le désir inhérent aux intrigues de manière volontiers scabreuse et en placardant ostensiblement une affiche sur laquelle un vif NON écrit en caractères majuscules s’oppose aux agissements sexistes et aux violences sexuelles.
Célébrer le théâtre et la création artistique n’est a priori pas le propos des Noces et ne renouvellera pas la lecture de l’œuvre mais le geste ne paraît pas gratuit pour autant, surtout à l’heure où le spectacle vivant se voit fortement bousculé par la pandémie. En témoignent la présence inévitable des maques sanitaires au plateau et la valse quotidienne des solistes remplaçants. Lors de la deuxième représentation, Chérubin fut sans interprète. Léa Desandre qui n’a pu assurer le spectacle a été joliment remplacée au pied levé par Chloé Briot chantant en avant-scène tandis qu’une figurante, portant casquette et jogging, mimait le rôle dessiné comme un adolescent bien d’aujourd’hui et à la puberté ravageuse, quémandant des baisers avec les mains baladeuses quand elles ne se réfugient pas dans son pantalon de survêtement.
Malgré les trouvailles, le travail théâtral et musical proposé passe pour plus soigné que fouillé et même un peu trop gentillet. Sans jamais démériter, la distribution réunie fait d’inégaux éclats. Anna El-Khashem (Suzanne) et Maria Bengtsson (la comtesse) font montre d’une belle musicalité mozartienne mais les voix portent peu. Dorothea Röschmann qui a été autrefois une comtesse de luxe campe ici Marcelline sans trop d’épaisseur. Les titulaires masculins se distinguent davantage. Familiers des rôles et excellents dedans, Peter Mattei et Luca Pisaroni sont d’un naturel, d’une séduction, d’une drôlerie, d’une aisance et d’une pertinence admirables dans le chant comme dans le jeu. A la tête de l’orchestre, Gustavo Dudamel réalise une direction toute en finesse. Toujours subtile et nuancé, le chef n’a recours au moindre effet. Scène et fosse sont par moments un peu trop enclines à la staticité, et, faute de relief, elles passent alors juste à côté de l’intensité dramatique délirante de l’ouvrage et de la puissance des émotions véhiculées. Il y a bien une intelligence dramaturgique mais il manque indéniablement une part de folie, de surprise, de frénésie pour être vraiment à la noce.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Les Noces de Figaro
Opera buffa en quatre actes
D’après Pierre Augustin Caron de Beaumarchais Le Mariage de FigaroLivret :
Lorenzo Da PonteMusique :
Wolfgang Amadeus Mozart – (1756-1791)Direction musicale :
Gustavo DudamelMise en scène :
Netia JonesAvec
Il conte di Almaviva :
Peter MatteiLa contessa di Almaviva :
Maria Bengtsson
(21 jan. > 9 fév.)Miah Persson
(12 > 18 fév.)Susanna :
Ying FangFigaro :
Adam PalkaCherubino :
Lea DesandreMarcellina :
Dorothea RöschmannBartolo :
James CreswellDon Basilio :
Michael ColvinDon Curzio :
Christophe MortagneBarbarina :
Kseniia ProshinaAntonio :
Marc LabonnetteDue Donne :
Andrea Cueva Molnar
Ilanah Lobel-TorresDécors :
Netia JonesCostumes :
Netia JonesVidéo :
Netia JonesEclairages :
Lucy CarterChorégraphie :
Sophie LaplaneDramaturgie :
Solène SouriauChef des Choeurs :
Alessandro Di StefanoOrchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Avec le soutien exceptionnel de Aline Foriel-DestezetPalais Garnier
du 19 janvier au 18 février 2022
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