Expérience hors normes d’un théâtre qui se remplit de doubles végétaux et donne naissance à un jardin qui devient l’annexe de Carré-Colonnes, la Scène Nationale, l’histoire du jardin secret de Saint-Médard en Jalles conduite par Opéra Pagaï montre que le théâtre a tout intérêt à sortir des sentiers battus.
Je suis né d’un projet avorté. En Avril 2020, à cause du confinement, mes parents, la troupe de l’Opéra Pagaï et la Scène Nationale de Saint-Médard en Jalles ont dû renoncer à représenter La cité merveilleuse, un spectacle qui cherche à faire naître des campagnes en plein centre-ville.
J’ai été conçu onze mois plus tard. En mars 2021. Mes parents se désolaient de ne pouvoir recevoir de public. A cause de la Covid-19. Ils ont alors décidé d’accueillir les gens sous une autre forme, une forme végétale… C’est ainsi qu’ils ont proposé aux habitants de Saint-Médard en Jalles de semer leur petite graine dans un petit pot sur lequel ils inscrivaient leur nom. C’était ce qu’ils appelaient leur « double végétal » qui venait peupler le théâtre. 600 personnes, dont beaucoup n’avaient jamais mis les pieds au théâtre ont ainsi participé à mon ensemencement. Et petit à petit, la Scène Nationale Carré-Colonnes s’est transformée en serre géante. Ses employés s’occupaient des plantations chaque jour. C’est un peu l’utérus qui m’a vu grandir.
Puis, je suis né. Un beau jour de mai. Tous les participants ont été conviés à venir mettre en terre ces plantes qui avaient germé et déjà bien poussé. On a trouvé pour m’accueillir un terrain en friche, proche du théâtre. Une parcelle de 1500 mètres carré qui appartient à la commune. Au début, certains riverains n’étaient pas très contents, ils avaient un peu peur de voir débarquer des intermittents. Puis, quand ils ont vu qu’il s’agissait de me faire grandir, moi, le jardin. Ils ont craqué.
Il faut dire que j’étais drôlement mignon. Avec mes tomates, mes courges, mes aubergines, mes poivrons, mes concombres et autres tournesols. Tout mélangés. Comme c’est leur premier jardin, mes parents ont engagé une nourrice, Patricia, qui, avant, était maraîchère en Vendée. Elle a courbé quelques uns des bambous qui poussent en abondance ici sur lesquels mes plantes ont beaucoup aimé grimper. Avec moi, Papa Pagaï dit qu’il a trouvé un nouveau sens à sa vie, qu’il a l’impression de « toucher à quelque chose d’essentiel, au vivant ». Mais la troupe n’arrête pas les spectacles pour autant. D’ailleurs, je suis encore jeune et mes parents m’ont déjà embauché.
Maman Scène Nationale vient ainsi régulièrement me rendre visite. Il paraît que ses salariés me préfèrent à leurs salles de réunion quand ils doivent se retrouver. Et puis surtout, j’ai fait mon premier spectacle. La coulée douce. A la fin du FAB (le Festival Internationale de Bordeaux) et du mois d’octobre. Tous les spectateurs sont arrivés au théâtre qui avait été à nouveau envahi par des plantes. Il y avait même un carrelet – c’est le nom de la cabane de pêcheurs du coin – et une zone humide sur le toit de la Scène Nationale. Et Opéra Pagaï a raconté mon histoire, en la transformant, pas mal. Comme quoi Saint Médard serait le patron des potagers et que c’est pour le fêter que chaque année, la troisième semaine d’octobre, tous les jardiniers débarqueraient ici. Chez moi. Dans le jardin. Tous les spectateurs ont donc déambulé jusqu’ici. J’étais tout illuminé. Pour une première, je suis déjà devenu une légende !
La seule chose, en vrai, c’est que malgré cela, je ne sais pas encore bien ce que je vais devenir plus tard. Les habitants de Saint-Médard adorent passer me voir. Les enfants viennent pique niquer. Opéra Pagaï en a fait son lieu d’écriture. Mais l’hiver approche. Alors, on a encore semé des radis, des carottes et des panais. De nouveaux doubles végétaux. Et il y a une Newslaitue qui donne régulièrement de mes nouvelles à tous ceux qui le veulent. Il paraît aussi que grâce à moi, Maman Scène Nationale a pu rencontrer de nouvelles personnes. Et que je lui offre un lieu de convivialité qui lui manquait. Alors je ne suis pas inquiet. D’ailleurs Papa Pagaï, il dit que je suis vraiment bien parti pour durer.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
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