Des personnalités culturelles ont appelé vendredi les Etats-Unis à inclure 36 artistes et intellectuels afghans bénéficiant d’un laissez-passer de Paris dans les ultimes opérations d’évacuation à Kaboul. Parmi ces artistes figurent Joris Mathieu le directeur du Théâtre Nouvelle Génération, Maria-Carmela Mini la directrice de latitudes contemporaines mais aussi le prix Goncourt Atiq Rahimi ou le réalisateur iranien Mohsen Makhmalbaf.
Ce lettre que nous reproduisons ci-dessous a été adressée au secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken, à l’ambassadeur américain en Afghanistan Ross Wilson et au chargé d’affaires Brian Aggeler.
« Cette liste de 36 personnalités et leurs familles, pour laquelle l’Etat français a accordé une lettre d’invitation officielle – un laissez-passer certifiant leur autorisation à voyager – nous vous demandons de bien vouloir nous faire la grâce d’accepter de l’intégrer à vos ultimes opérations d’évacuation. Vous seuls pouvez le faire désormais » explique le courrier. « Nous n’avons aucun doute sur le sort qui leur sera réservé dès lors qu’il n’y aura plus de présence étrangère sur le territoire. Nous vous demandons à la fois de nous aider à sauver ces individus pour ce qu’ils sont, mais aussi pour la perspective d’un futur meilleur qu’ils représentent pour tout un pays ».
Paris, le 26 Août 2021,
Monsieur le Sécrétaire d’Etat : Anthony Blinken,
Monsieur l’ambassadeur en Afghanistan : Ross Wilson,
Monsieur le chargé d’Affaires : Brian Aggeler
L’Afghanistan connaît aujourd’hui des heures sombres et terribles.
Vous-mêmes et vos équipes, en qualité de représentants diplomatiques des Etats-Unis, êtes en première ligne de cette tragédie à laquelle nous assistons. Vous êtes, en premier lieu, les dépositaires de la sécurité des ressortissants de votre pays et des Afghans qui ont obtenu la protection des Etats-Unis. Et nous savons que dans ce contexte de progression éclair des Talibans et dans le climat de tension extrême ces derniers jours, aux abords de l’aéroport de Kaboul, vous avez tout mis en œuvre pour permettre également, en dialogue avec les représentants de notre ambassade française, le rapatriement des ressortissants étrangers et des invités afghans de la France. Malheureusement nous avons tous conscience que ces opérations d’évacuation ont été fortement compromises par les circonstances délétères et la violence qui a régné dans les rues de Kaboul.
Nous, directrices et directeurs d’institutions culturelles françaises, amis des arts en Afghanistan, avions depuis un mois tenté d’anticiper cette situation, pour constituer une liste d’un peu moins d’un millier d’artistes, de journalistes, d’intellectuels, de chercheurs et de penseurs. Nous avons, en dialogue étroit avec le gouvernement français et les équipe de notre Ambassade, tout mis en œuvre pour leur éditer des visas et préparer leur accueil chez nous en France dans les meilleures conditions. A travers nous, ce sont plus de cinquante structures culturelles labellisées en France qui se sont engagées à soutenir financièrement ces personnes et à les accompagner sur le territoire français dans la poursuite de leur travail. Nous sommes convaincus que dans cette période charnière de reprise de pouvoir par le régime Taliban, ces personnes constituent la plus grande force de résistance idéologique à cet
obscurantisme qui va porter à nouveau son ombre sur le territoire Afghan. Nous savons quelle est la valeur et la puissance des œuvres, des productions artistiques et des récits, portés par les artistes en exil, et nous nous sommes engagés à constituer un réseau solide de partenaires en France pour soutenir cette production afin qu’elle
puisse, à distance, continuer à irriguer en pensées et en espoirs, les populations afghanes qui seront soumises à une oppression quotidienne. C’est parce qu’ils et elles représentent tout cela, cette alternative idéologique et intellectuelle, que nous nous sommes mobilisés pour tenter de les sortir du pays. Et c’est exactement pour ces
mêmes raisons, et vous le savez comme nous, qu’ils sont désormais en grand danger et seront des cibles privilégiées des exactions des Talibans dans les prochains jours et semaines.
Sur le millier d’artistes, de journalistes, d’intellectuels et de penseurs que nous avons recensé, nous pensons que moins d’un tiers a réussi à ce jour à se frayer un chemin jusqu’aux portes de l’aéroport. Cette semaine, nous les avons suivi au quotidien, jour et nuit, pour les guider et les soutenir à distance sur ce chemin de croix. Nous avons
assisté, avec impuissance, à la rudesse et à la dégradation de leurs conditions de vie.
Nous avons constaté que dans cet environnement hostile, les moins jeunes, les plus fragiles, les familles avec des enfants très jeunes, étaient dans l’incapacité physique d’atteindre cet objectif d’entrer dans l’aéroport. Certains (une minorité) ont donc réussi, mais il reste sur place à Kaboul, de grands artistes, des penseurs importants pour l’avenir de leur pays. Nous ne pouvons nous résigner à les laisser maintenant entre les mains des Talibans qui commencent déjà à les harceler et à les persécuter, eux et leurs familles, à menacer de tuer leurs parents, d’enlever leurs enfants, de détruire leurs maisons.
Alors que nous entrons dans les derniers jours de présence militaire américaine sur le territoire afghan, et alors que les promesses des Talibans pour laisser voyager librement les Afghans à l’étranger ne nous inspire aucune confiance, nous vous demandons votre coopération et votre aide. Nous n’avons aucun doute sur le sort qui leur sera réservé, dès lors qu’il n’y aura plus de présence étrangère sur le territoire.
Nous vous demandons à la fois de nous aider à sauver ces individus pour ce qu’ils sont, mais aussi pour la perspective d’un futur meilleur qu’ils représentent pour tout un pays. La lueur d’espoir qu’ils continueront à faire briller en étant vivants chez nous, mais qui s’éteindra s’ils restent en Afghanistan où leur parole sera étouffée et où la
mort ou l’enfermement dans des prisons obscures leur sera promise.
Pour tout cela, nous avons établi une liste restreinte à 36 noms, toutes des personnes à qui nous offrons des garanties d’asile en France, un soutien à la vie quotidienne, une implication des structures culturelles françaises pour faire résonner leurs voix partout dans le monde, pour qu’une autre Afghanistan puisse continuer d’exister dans les
consciences.
Cette liste de trente-six personnalités et leurs familles, pour laquelle l’Etat français a accordé une lettre d’invitation officielle – un laisser-passer certifiant leur autorisation à voyager – nous vous demandons de bien vouloir nous faire la grâce d’accepter de l’intégrer à vos ultimes opérations d’évacuation. Vous seuls pouvez le faire désormais.
Nous avons une totale conscience de la déjà très grande complexité de ces dernières évacuations que vous menez pour ramener les vôtres, mais si ces invitations émanent de structures françaises, ne doutez pas que les bénéfices de la parole future de ces artistes aura une portée internationale et servira tout autant les intérêts de votre pays
avec lequel nous partageons des valeurs d’Humanisme et de lutte contre l’obscurantisme. Ces invités sont les nôtres, mais dans d’autres circonstances ils auraient pu être les vôtres. Et c’est ainsi que nous vous demandons de bien vouloir les considérer, à travers nous, comme vos propres invités. Ils incarnent une partie du trésor intellectuel Afghan que la coopération internationale doit solidairement et à tout prix réussir à préserver d’une destruction promise.
Cette démarche que nous entreprenons auprès de vous, est une initiative de la société civile des réseaux culturels français, motivée par l’urgence de la date de retrait des forces internationales. Elle n’a fait l’objet d’aucune concertation avec les équipes de l’Ambassade de France, qui la découvrent en copie de ce mail. Messieurs Martinon, Guibert et Richard, connaissent déjà notre engagement au service des artistes et intellectuels afghans en danger.
Vous remerciant pour votre attention, dans cette période où chaque minute qui passe à une valeur particulière, nous espérons pouvoir compter sur votre soutien dans cette entreprise de résistance intellectuelle et culturelle,
Joris Mathieu, Metteur en scène et directeur du Théâtre Nouvelle Génération
Maria Carmela Mini, Directrice de Latitudes contemporaines festival
Atiq Rahimi, réalisateur et écrivain lauréat du prix Goncourt
Guilda Chahverdi, Commissaire d’exposition et ancienne directrice de l’Institut
français d’Afghanistan
Siddiq Barmak, lauréat du festival du film Golden Globe
Mohsen Makhmalbaf, Réalisateur iranien
Mohammad Mehdi Zafari, Cinéaste et ancien directeur délégué de l’Institut français
d’Afghanistan
Nous sommes soutenus dans cette démarche par des personnalités américaines telles que : Martin Scorsese, Cate Blanchett, Kate Winslet, Alfonso Cuaron, Emma Thompson, Gemma Arterton (…)
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