Avec l’aide de cinq dramaturges, le directeur du Théâtre de la Tempête orchestre une soirée de catch théâtral hors du commun. Savamment référencée, elle peine toutefois à atteindre son but et à dépasser la stricte logique d’affrontement camp contre camp.
Habituellement si sage avec son gradin et son plateau on-ne-peut-plus classiques, la salle Jean-Marie Serreau du Théâtre de la Tempête est, en ce soir de septembre, méconnaissable. Furieusement métamorphosée, elle accueille en son centre un ring, imposant, qui, eu égard à ses cordes élimées, a déjà vu passer nombre de duels. D’emblée, le regard se décale. Conformément à son titre, Catch ! ne se veut pas un spectacle comme les autres. Jusque dans sa scénographie, savamment travaillée, il cherche à bousculer les codes, à instaurer un autre rapport avec le public, à se glisser dans un mince interstice, potentiellement fécond, entre pièce de théâtre et soirée de catch en bonne et due forme. De la lumière crue des néons à la chaleur tropicale, de la libre-circulation des spectateurs aux commentateurs un peu beaufs, et dopés à la bière, qui cherchent à chauffer la salle à blanc, tout semble de prime abord réuni pour électriser l’atmosphère et transformer l’espace en chaudron. Las, cette folle idée, née dans l’esprit de Clément Poirée, avait tout du pari, et il s’avère, au-delà de l’esthétique habilement référencée, largement perdu.
Le metteur en scène avait pourtant mis toutes les chances de son côté pour nourrir intellectuellement cette soirée inédite et transmuer la traditionnelle lutte physique en combat de mots et d’idées. A l’image de ces bookers qui écrivent les scénarios dans lesquels s’inscrivent les catcheurs, cinq dramaturges – Hakim Bah, Emmanuelle Bayamack-Tam, Koffi Kwahulé, Sylvain Levey et Anne Sibran – ont pris la plume pour tirer les ficelles d’une kyrielle de duels et façonner les personnages comme autant d’allégories sociétales. S’affrontent alors, pêle-mêle, KassNoisette, l’adolescente rusée, et Priápico, le vieux beau libidineux, Kapitaal, le parangon capitaliste, et Melancholia, le dépressif neurasthénique, Misandra, l’égérie féministe, et Battery Pork, le mâle blanc misogyne, sans oublier Le Grand Esprit des Animaux et Le Sacrificateur Industriel. Au cœur de leurs luttes verbales, tous les débats et thèmes épineux de notre temps se condensent, du racisme aux violences faites aux femmes, du féminisme à la réaction masculiniste, du bien-être animal au rejet plus global de toute différence. Par le truchement du catch, du grotesque et de la caricature qu’il impose, Clément Poirée entendait alors purger ces mauvaises passions qui fracturent et fragmentent la société, leur faire un sort grâce à un exercice de catharsis plus endiablé que d’autres.
Sauf qu’à l’épreuve du ring, le procédé se révèle trop hétérogène, lourd et appuyé, incapable de dépasser l’enfoncement, au bulldozer, de portes ouvertes. Comme pris au piège des codes catchesques, et de la dose de mauvais goût qu’ils supposent, la plupart des dramaturges semblent s’être interdits toute finesse et hauteur de vue, et accouchent, ce faisant, de textes bien trop faibles pour dépasser la stricte logique d’affrontement camp contre camp et l’assouvissement d’une soif de vengeance qui, au lieu de les apaiser, excite les pulsions et les bas instincts. A titre d’exemples, les combattants peuvent, tout à la fois, entre deux séances d’émasculation, encourager le public à faire rimer « fachosphère » et « phacochères », passer l’un des « porcs » de #MeToo à la broyeuse et reproduire le meurtre de George Floyd. Manquant de souffle, d’humour et de capacité de rebond, ces luttes, qui peinent à franchir le mur du son bâti par le cadre scénographique et les impératifs chorégraphiques imposés par le catch, perdent une partie de leur caractère allégorique et plombent plus qu’elles n’électrisent l’ambiance.
Reste, malgré tout, l’engagement, y compris physique, de la belle troupe de comédiens dont Clément Poirée a su, au fil des années, s’entourer. Sous les costumes et les masques dignes des meilleures soirées de catch d’Hanna Sjödin et Camille Lamy, ils ne reculent devant aucun obstacle et mettent toute leur énergie, matinée de folie, au service d’une étonnante audace de jeu qui contribue à donner du relief, et du chien, aux multiples personnages qu’ils incarnent. Citons, notamment, Eddie Chignara, aussi effrayant en Priápico que délicieusement félin en Exótico, Joseph Fourez, aussi à l’aise en emmerdeur de première classe qu’en commentateur coincé, ou encore Louise Coldely, savoureuse commentatrice douce-dingue. Malheureusement, il en faudrait bien plus pour que cette longue soirée de catch théâtral ne paraisse pas interminable, et dépasse le stade de ce qui a tout, au sortir, d’une fausse bonne idée.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Catch !
Textes Hakim Bah, Emmanuelle Bayamack-Tam, Koffi Kwahulé, Sylvain Levey, Anne Sibran
Mise en scène Clément Poirée
Avec Camille Bernon, Bruno Blairet en alternance avec Erwan Daouphars, Clémence Boissé, Eddie Chignara, Louise Coldefy, Joseph Fourez, Stéphanie Gibert, Thibault Lacroix, Pierre Lefebvre-Adrien, Fanny Sintès
Collaboration à la mise en scène Pauline Labib-Lamour
Scénographie Erwan Creff assisté de Caroline Aouin
Lumières Guillaume Tesson assisté d’Édith Biscaro
Costumes, masques Hanna Sjödin assistée de Camille Lamy
Musique, sons Stéphanie Gibert assistée de Farid Laroussi
Maquillages Pauline Bry-Martin
Régie générale, plateau Silouane Kohler assisté de Franck Pellé
Habillage Émilie Lechevalier Solène Truong en alternance
Conseils catch Marc Mercier, Vince Greenleaf
Circassiens de l’Académie Fratellini Armand Delattre, Basil Le Roux, Mahamat Fofana, Markus Aarøy Vikse, Roberto StellinoProduction Théâtre de la Tempête, subventionné par le ministère de la Culture
Coproduction TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, Théâtre de l’Union – CDN du Limousin
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national
Avec le soutien du Fonds SACD Théâtre, du Fonpeps, de l’école Estienne, de Deck & Donohue
Avec la participation des apprentis du CFA des arts du cirque – L’Académie FratelliniDurée : 3h30 (entracte compris)
Théâtre de la Tempête, Paris
du 9 septembre au 17 octobre 2021TnBA Bordeaux
du 23 au 27 novembre
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