Lorsque la veuve de Pierre Bonvallet (1918-1991), alias le clown Punch, lui lègue les derniers effets de son mari, le fildefériste et fondateur de la compagnie Lonely Circus, Sébastien Le Guen, délaisse son agrès pour partir sur les traces de l’artiste disparu. Sa passionnante Enquête l’amène à explorer une page méconnue de l’histoire du cirque, et un pan de son histoire personnelle.
C’est en spécialiste de l’équilibre et de la suspension que Sébastien Le Guen, fildefériste de son état, reçoit en 2007 de la part de la veuve de Pierre Bonvallet les quelques biens de son mari qui n’ont pas été légués à la BnF. C’est donc ainsi qu’il ouvre son Enquête. Sur un fil qu’il tend lui-même au milieu des spectateurs à qui l’on a demandé de patienter debout, au rythme saccadé du morceau le plus célèbre d’Eminem diffusé par une enceinte portable qu’il vient de déposer sur le sol, le fondateur de la compagnie Lonely Circus fait quelques traversées. Il marche, saute et remarche, comme on devine qu’il l’a déjà fait tant de fois que ce n’est presque plus un défi pour lui, surtout à cette hauteur très raisonnable : celle des acrobates du dimanche, qui installent leur fil à la hauteur d’un petit enfant. Sans un mot, le voilà présenté ; du fil, il peut passer à la filature annoncée par le titre. Il nous enjoint à le suivre.
Au festival Villeneuve en Scène où nous l’avons rencontré, c’est à l’intérieur du collège Montolivet qu’il pénètre pour nous emmener avec lui sur les traces d’un artiste oublié ou presque. Soit Pierre Bonvallet, alias Punch, clown blanc dont on apprend au fil de L’Enquête qu’il fut pourtant célèbre en son temps grâce à son duo avec l’Auguste Pedro, pseudonyme de son ami Marcel Chausse (1911-1968), avec qui il a fait ses études au collège Chaptal à Paris, avant de suivre des études d’art dramatique au Théâtre Michel sous la direction de Louis Jouvet. Capturés par les Allemands, les deux hommes se retrouvent en 1940 dans le camp de Bischofsberg, où ils créent leur duo et le font vivre à travers des revues, pièces et opérettes pour distraire leurs compagnons d’infortune. Pas plus que le succès rencontré par les deux clowns après la Libération, Sébastien Le Guen ne raconte cette histoire à notre manière, bien linéaire. Il le fait par fragments, de formes et de contenus divers, à l’image des informations qu’il a pu collecter sur le clown pour répondre à l’injonction de sa veuve : qu’il en fasse quelque chose.
Mais quoi ? C’est dans une sorte de serre, avec laquelle il se déplace partout, que Sébastien Le Guen cherche une réponse à cette question, qui l’occupe tout autant que la vie de Punch et du cirque de l’époque. L’artiste nous invite à nous asseoir tout près de lui, sur des gradins installés des deux côtés d’une grande table encombrée de tout un tas de matériel. Notamment de deux vidéoprojecteurs, entre lesquels il court pour composer en direct une sorte de film muet avec d’un côté les mots, de l’autre les images, lui-même restant muet pendant la quasi-totalité du spectacle. Tout comme il l’est le plus souvent sur son fil et sur les agrès dérivés qu’il invente avec sa compagnie, et comme l’ont longtemps été les artistes de cirque, interdits de prendre la parole pour ne pas les laisser marcher sur les plates-bandes du théâtre. S’il renonce à marcher sur son fil dans L’Enquête, Sébastien Le Guen le suit mentalement : c’est selon ses principes et ses contraintes, et plus largement selon ceux du cirque qu’il construit sa relation à Punch, avec l’aide de Nicolas Heredia à la mise en scène.
Le fildefériste mène ainsi sa discipline vers une voie passionnante et singulière, où l’agrès peut continuer d’exister après avoir disparu physiquement. Tout comme Pierre Bonvallet et son acolyte Marcel Chausse qui, un beau jour, sans prévenir, a cessé de donner au monde de ses nouvelles. De même que le frère de Sébastien, dont le récit en textes et en dessins de la chute libre depuis un pont de Plougastel traverse toute L’Enquête. En plus de pister le clown comme un circassien, c’est en tant qu’individu qu’il le fait. Les numéros qu’il compose à partir des traces laissées par le clown – une mallette de maquillage, une boite de vinyles, une caisse de livres, un polar cosigné avec l’ami disparu – dessinent un rapport très intime et sensible à la trace. De quoi nous donner envie de poursuivre cette belle enquête, dont les trous et les mystères nous laissent une place à investir comme bon nous semble. Avec ou sans filet.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
L’Enquête
Conception et interprétation Sébastien Le Guen
Mise en scène Nicolas Heredia
Contribution en cirque d’audace Guy Perilhou
Création son Jérôme Hoffman
Création lumière Marie Robert
Scénographie / Constructions Lonely Circus et Delphine JalabertCoproduction Théâtre Molière Sète, Scène Nationale archipel de Thau ; L’Archipel, Scène Nationale de Perpignan ; EPCC Théâtre de Bourg-en-Bresse, scène conventionnée pour le cirque et le théâtre d’objets, Archaos, Pôle National Cirque Méditerranée associé au Théâtre Massalia, Marseille, scène conventionnée pour la création jeune public tout public Résurgence, saison des arts vivants en Lodévois et Larzac
Accueil / Soutien en résidence : Théâtre d’O, Conseil départemental de l’Hérault, Théâtre Na Loba – Pennautier, Ville de Balaruc-les-Bains
Avec le soutien du Conseil Général de l’Hérault, du Conseil Régional Occitanie Ministère de la Culture / DRAC Occitanie SACD – Lauréat Processus cirque 2018Durée : 1h10
11 au 14 mai 2022
L’archipel Perpignan (66)16 au 19 juin 2022
Printemps des comédiens Montpellier (34)
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