Le comédien croque ses contemporains entre nostalgie d’un temps révolu et ironie mordante.
Exceptions faites de quelques incursions dans le répertoire plus ou moins classique – citons, par exemple, Le Jeu de l’amour et du hasard, récemment mis en scène par Catherine Hiegel, où il campait le rôle d’Arlequin –, Vincent Dedienne s’était jusqu’ici contenté, sur scène, de parler de lui-même. Dans son premier one-man-show, S’il se passe quelque chose, le jeune humoriste avait su allier les codes du stand-up et du théâtre pour esquisser un autoportrait drôle et sensible, entre Mâcon, dont il est originaire, et l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne, dont il est diplômé. Pour son retour en solo sur les planches, il a, cette fois, choisi de décaler le regard, comme on changerait de cible. « Après avoir fait le tour de mon nombril, j’ai décidé de tourner un peu autour des vôtres… si ça chatouille, tant mieux », s’amuse-t-il, comme pour prévenir qu’Un soir de gala n’hésitera pas, parfois, malgré son titre gentil-comme-tout, à viser là où ça fait mal.
De fait, la brochette de contemporains qu’il convoque n’a rien d’une batterie de perdreaux de l’année. Aucun n’est jamais franchement horrible, mais chacun a cette petite méchanceté, matinée de juste ce qu’il faut de cruauté, qui affleure. C’est d’ailleurs, sans doute, le seul et unique trait de caractère qui unit ces femmes et ces hommes venus des quatre de coins de la société, de celui qui savoure les enterrements de célébrités à celle qui voue sa belle-mère, Sabine, aux gémonies, de la riche bourgeoise qui écrase sa femme de ménage, Louisa, de tout son mépris social au chorégraphe qui martyrise ses danseurs, de la voyagiste fascinée par Xavier Dupont de Ligonnès au comédien plus préoccupé par ses placements de produits que par son film, du CRS « redresseur » de chansons françaises au présentateur de flash, un rien coké, qui tyrannise ses collègues de France Inter. Telle une bande de pieds-nickelés, tous ont la fâcheuse manie de se prendre les pieds dans le tapis, poussés par un Vincent Dedienne qui se plait à les tourner gentiment en ridicule au fil de ce qui prend progressivement l’allure d’un jeu de massacre.
Immergée dans un bain de nostalgie qui – s’il n’est pas exempt de certaines coutures textuelles et paraît, de temps à autre, un brin convenu – donne à l’ensemble un relief particulier, cette galerie de portraits n’est pas sans dire quelque chose de notre époque où, sous la façade lisse et bien sous tous rapports, se cache une vilénie et/ou une bêtise qui peuvent, parfois, aller jusqu’à une certaine forme de violence. Dans le parallèle qu’il entretient avec le temps, forcément béni, de son enfance et avec cette société des années 1990 où il a grandi – moins dure, peut-être, que l’actuelle –, Vincent Dedienne s’amuse à nous tendre un miroir. Car, sous leurs airs de créature de théâtre, ces femmes et ces hommes, un peu malins, un peu cruels, un peu médiocres, ressemblent trait pour trait à ceux que l’on croise tous les jours. Alors, au pied de ce piano qu’il a commandé sans savoir en jouer, sous cette boule qui a perdu quelques facettes comme pour signifier que la fête est finie, le comédien use de ce savant mélange qui a fait son succès, à mi-chemin entre finesse du texte et élégance scénique, ironie mordante et traits d’esprit ravageurs. Le tout dans une ambiance de gala qui a, comme toute relique, le charme des mondes disparus.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Un soir de gala
Texte Vincent Dedienne, Juliette Chaigneau, Mélanie Le Moine, Anaïs Harté
Mise en scène Juliette Chaigneau, Vincent Dedienne
Avec Vincent Dedienne
Scénographie Lucie Joliot
Création lumières Kelig Le Bars
Chorégraphie Yan RaballandProduction Ruq Spectacles
Durée : 1h40
Théâtre des Bouffes du Nord
Du 17 au 31 décembre 2024
Du mardi au samedi à 20h
Matinées les samedis à 16h30
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