Dans Ils savaient pas qu’ils étaient dans le monde présenté au Festival de Marseille, Nolwenn Peterschmitt et Maxime Levêque du Groupe Crisis relatent leurs voyages en Palestine et en Israël. Pour questionner leur rapport à la guerre, aux mécanismes de la colonisation, ils optent pour une autofiction dont les riches fragments peinent parfois à former un chemin de pensée partageable.
C’est en voyageur un peu paumé, solitaire mais plein d’humour et d’une belle faculté d’observation que Maxime Levêque se présente à nous. Un jour, nous raconte-t-il comme à un ami après un long voyage, il était à la gare d’Anvers. « Vous connaissez la gare d’Anvers ? Est-ce qu’elle n’est pas déprimante ? ». Avec ses quelques questions et son récit délicat, l’auteur et comédien nous embarque aux côtés du globe-trotteur qu’il dit avoir été. Nous voilà à ses côtés dans le bar-restaurant de la gare, où il rencontre un vieil homme plongé dans des cartes, qui entame un long monologue sur l’architecture, en particulier sur les fortifications. Nous ne savons pas alors que nous sommes sur la route de Wadi Fukin, village palestinien situé en Cisjordanie occupée. Et ce n’est pas Nolwenn Peterschmitt qui nous met sur la voie : pendant que Maxime parle, elle s’occupe des cubes de bois disposés en tas sur la scène qui, sinon, est nue. En silence, elle bâtit des murs. C’est sa façon à elle de nous faire quitter la Belgique pour les territoires israélo-palestiniens.
Ils savaient pas qu’ils étaient dans le monde, qu’ils ont écrit et mis en scène ensemble dans le cadre du Groupe Crisis cofondé par Nolwenn avec deux autres jeunes femmes diplômées d’écoles supérieures de théâtre – Hayet Darwich et Laurène Fardeau –, s’ouvre ainsi sur une approche très personnelle, détournée du conflit israélo-palestinien. Lorsque Nolwenn prend le relai de la narration, elle en confirme la nature autofictive et hybride. Face à une image qui la montre assise avec Maxime face à une rue dont ils observent les petits événements, Nolwenn se lance dans une parabole : celle de « la jeune femme et du jeune homme face à une image ». Elle excelle dans ce registre autant que Maxime Levêque dans le sien, qu’il abandonne lui-même bientôt au profit d’autres formes, souvent tout aussi bien maîtrisées. Sa complice fait de même, et il ne se passe guère autre chose lorsqu’ils portent ensemble un même matériau.
À plusieurs reprises, le duo parle architecture. Il dit comment leurs voyages en Israël et en Palestine les ont amenés à la voir comme une arme de guerre. Laquelle est bien sûr présente dans chacun des morceaux de Ils savaient pas qu’ils étaient dans le monde, d’une manière ou d’une autre. Qu’ils abordent la colonisation ou la construction, qu’ils racontent un de leurs cauchemars ou racontent un souvenir de l’un de leurs trois voyages réalisés en Israël et en Palestine depuis 2012, Nolwenn et Maxime reviennent toujours à leur sidération d’avoir été dans un pays en guerre. Dans un territoire que jusqu’au moment de leur premier voyage, ils ne connaissaient que comme la plupart des Occidentaux : par les médias, par l’image. Leur choix d’une structure très éclatée, organisée selon leurs termes en « motifs dont la répétition forment des lignes parallèles », témoigne d’un désir de déconstruire les représentations dominantes, d’aller au-delà de l’image.
De même que les sujets évoqués plus tôt, cette interrogation est hélas vite chassée par une autre dès qu’elle apparaît. Si bien que la motivation des deux artistes à se rendre en terrain risqué, puis à faire spectacle de ce geste répété, demeure mystérieuse. La démarche en question n’étant pas anodine de la part d’un artiste occidental, le flou est presque gênant. Il empêche de plus au spectateur de se construire son propre chemin de pensée entre les différents fragments de leur pièce. En montrant leur savoir-faire en matière de jeu autant que d’écriture, les deux artistes construisent un labyrinthe dont la plupart des tronçons sont nets, intéressants à parcourir, mais dont l’issue est incertaine.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Ils savaient pas qu’ils étaient dans le monde
Conception et interprétation : Maxime Lévêque, Nolwenn Peterschmitt
Assistante mise en scène : Laurène Fardeau
Conception technique et visuelle : Arnaud Troalic
Construction décor : Daniel Lagaisse
Régie générale et lumière : Sébastien Lemarchand
Aide à la dramaturgie : Hildegard de Vuyst
Regard extérieur : Duncan Evennou
Production : Groupe Crisis
Soutien : Ateliers Médicis – Création en Cours (Seine-Saint-Denis) ; Théâtre-Studio d’Alfortville ; Friche Belle de Mai (Marseille) ; Montévidéo Centre d’art (Marseille) ; Festival de Marseille ; Théâtre de la Commune Centre dramatique national – Aubervilliers ; Théâtre Le Colombier (Bagnolet) ; Compagnie Marie Lenfant (Le Mans) ; Compagnie Akté (Le Havre) ; Compagnie l’Entreprise – François Cervantes (Marseille) ; le village de Wadi Fukin (Cisjordanie) ; AFPS – Association France Palestine Solidarité (Paris)
Durée : 1h30
Vu au Festival de Marseille le 4 juillet 2021
Théâtre Le Colombier – Bagnolet
Du 10 au 13 novembre 2021
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