À l’occasion de la saison Africa2020, le festival bamakois BAM à Bamako, initié en 2018 par le danseur et chorégraphie Tidiani N’Diaye, s’invente une ramification française. C’est BAM BAM BAM, fenêtre sur la jeune création malienne qui a débuté à Marseille et se poursuivra à Nantes.
Lorsqu’il créée en 2018 le festival BAM, Tidiani N’Diaye n’imagine pas un instant que trois ans plus tard, c’est à Marseille, à Paris et à Nantes qu’il organisera des résidences et programmera des artistes maliens. « Je ne peux pas parler du festival BAM sans commencer par parler de Copier Coller, centre de ressource multimédia et de création artistique que je fonde en 2011 à Bamako, suite à ma rencontre avec le chorégraphe Gilles Jobin. Nous demandant comment aider les chorégraphes et danseurs maliens à vivre de leur art, nous avons créé cette structure. La même année, je viens en formation en France, avec toujours à cœur l’envie de faire des projets au Mali. J’y suis retourné chaque année, jusqu’à ce qu’en 2018 le festival BAM voie le jour », explique le danseur et chorégraphe dans un entretien où il apparaît avec son collaborateur Arthur Eskhenazi, qui l’accompagne depuis sa pièce Bazin (2017). Avec aussi Patrick Acogny, ancien directeur de la fameuse École des Sables au Sénégal, chargé d’animer la discussion. Consacré à la jeune création malienne, BAM affirme ainsi son lien avec les grandes aventures de la danse contemporaine en Afrique.
Du Mali à Marseille
Plateforme d’échanges et de résidences entre Marseille et des artistes et opérateurs européens et méditerranéens dirigée par Julie Kretzschmar, Les Rencontres à l’Échelle ont accueilli du 2 au 21 avril 2021 trois artistes maliens en résidence à La Friche Belle de Mai. Cela dans le cadre d’un dérivé français de BAM intitulé BAM BAM BAM, porté par la saison Africa2020, en partie reportée en 2021 du fait de l’épidémie de coronavirus. Après quoi le festival doit se poursuivre au Théâtre Universitaire de Nantes du 10 au 13 juin. Après une deuxième édition de BAM annulée – elle devrait être reportée en décembre 2021 –, ce rendez-vous français a permis à Tidiani N’Diaye et son équipe de poursuivre leur soutien à des artistes qui commencent pour certains à se faire reconnaître sur la scène internationale. Mais qui pour développer leurs pratiques, pour se construire à la fois sur le plan esthétique et administratif ont besoin de moyens dont ils ne disposent encore que trop peu au Mali.
Le 19 avril à La Friche Belle de Mai, les trois artistes que nous rencontrons à l’issue d’une résidence de 15 jours témoignent autant de ces difficultés que de leur désir de les surmonter. Pour Adiara Traoré, Alou Cissé Zol et Daouada Keita, BAM BAM BAM est l’occasion de présenter pour la première fois leur travail solo en France, devant des professionnels. Et ce dans des conditions techniques, avec un accompagnement artistique, technique et dramaturgique qu’ils travaillent tous à développer au Mali. Comme le font Tidiani N’Diaye et leur aînée Kettly Noël, danseuse et chorégraphe haïtienne qui a été la première à installer une compagnie de danse professionnelle dans le pays, et à y ouvrir un lieu de formation par lequel sont passés tous les artistes invités à Marseille, après avoir reçu une formation généraliste au Conservatoire des Arts et Métiers de Bamako. Avec les étapes de création présentées à La Friche, ces derniers expriment leur engagement pour le développement de la danse contemporaine au Mali, dont ils font le véhicule de propos très politiques, de luttes contre différentes formes d’injustices.
Des cauris et des chaînes
Directeur de la compagnie « Graine de danseurs », avec laquelle il crée ses spectacles et œuvre à la formation de jeunes à la danse contemporaine, Alou Cissé dit Zol poursuit avec Waati présenté à Marseille un travail de sensibilisation à l’environnement qu’il mène depuis la création de sa pièce Ballet plastique en 2015. « C’est en me rendant un jour à l’aéroport avec des étrangers que j’ai pris conscience de l’omniprésence du sac plastique dans le paysage malien. C’est un véritable problème pour la nature bien sûr, ainsi que pour l’image du pays. À mon retour, j’ai donc décidé de mettre ma danse au service de la cause environnementale », explique-t-il. Dans Waati, le message est clair. Avec une gestuelle d’abord minimaliste, de plus en plus accentuée, le danseur manipule les uns après les autres des symboles de l’influence souvent néfaste de l’homme sur la nature. Parmi lesquels des cauris, « coquillages devenus monnaie puis outils de prédiction », et des cannettes transformées en une sorte de rideau qui fait pour le danseur office de scénographie et d’instrument de musique. Derrière lui, des images montrent des ferroniers de Bamako à l’œuvre. « Des hommes qui travaillent dans des conditions très dures, sans aucune aide de l’État », déplore Zol.
La danse d’Adiara Traoré est elle aussi tournée vers l’Autre. Son solo en cours d’écriture, Au cœur, est selon ses termes « un message exprimé au plateau pour toutes les femmes qui témoignent des violences qui leur sont faites ». Pour cette artiste qui a quitté sa région en 2008 pour intégrer le Conservatoire des Arts et Métiers, et choisir ensuite la danse contemporaine à laquelle elle se forme auprès de Kettly Noël, pas question non plus d’emprunter des chemins de traverse. C’est une chaîne au pied qu’elle danse dans Au cœur. Une chaîne qui pèse, qui contraint, mais qui peut aussi devenir une arme, une alliée. De la même manière Zol avec ses cannettes, Adiara donne à l’objet des sens divers, souvent opposés. Elle aussi danse comme on lutte. Comme elle a lutté pour « se construire en tant que danseuse contemporaine au Mali, à une époque où personne ou presque ne savait ce que c’était ». Aujourd’hui interprète pour plusieurs compagnies, dont celle d’Amala Dianor, Adiara Traoré mesure le chemin parcouru. « Les choses commencent à changer. Nous sommes maintenant plusieurs jeunes danseurs à nous battre pour la reconnaissance de la danse contemporaine et pour son développement au Mali, c’est très encourageant », dit celle qui espère pouvoir un jour mettre en place sa propre école au Mali.
Des territoires en construction
Daouda Keita fait lui aussi partie de cette génération d’artistes engagés pour la progression de la danse dans son pays. Premier fruit d’une recherche inspirée par le premier confinement, sa performance marseillaise donne forme au « sentiment partagé d’un foyer devenu protecteur, étrangement fermé mais connecté aux informations du monde extérieur, à cette tristesse intime cependant que ce soit des autres qu’il faille se protéger. Une équation presque impossible dans le monde de la danse », exprime l’artiste dans une note d’intention. Encore une fois, la colère plane. Elle a beau être plus étouffée, moins frontale que chez Alou Cissé et Adiara Traoré, on ne peut l’ignorer. Elle se traduit aussi par un rapport étroit à l’objet : une étendue de boîtes en carton, dont l’artiste fait un territoire qu’il arpente et modifie sans cesse. Avec son personnage d’homme-boîte, il « traite le problème du corps dansant confiné ». On peut imaginer que plus largement, c’est la situation de l’artiste malien qu’il danse. Un artiste aux horizons limités : « en l’absence d’aides au Mali ne peut vivre que de façon précaire, en faisant appel à des fonds étrangers ».
C’est pour tenter de remédier à cette situation qu’il cofonde avec trois autres artistes – le metteur en scène Lamine Diarra, la photographe Amssatou Dioallo et le chorégraphe Tidiani N’Diaye – une coopérative d’artistes maliens, le FIL. « Il s’agit de contribuer au développement économique et social du Mali grâce à la participation active et éveillée de la société civile, à travers des projets artistiques et culturels de qualité. Nous travaillons aussi à un plaidoyer pour une politique de développement culturel nationale et locale », dit-il. En parallèle de ce combat artistique, Daouda en mène comme Adiara Traoré et Alou Cissé un autre, plus social. Afin de développer son langage chorégraphique au sortir de deux ans chez Kettly Noël, l’artiste est en effet allé à la rencontre de jeunes malentendants de l’école spécialisée de Bamako. En plus d’avoir nourri son solo Les petits gestes de bonheur créé en 2019 et ses créations suivantes – jusqu’à Ficksion, où il reconnaît l’influence de la langue des signes, cette expérience a donné lieu à une formation. « Je voulais qu’il y ait échange. Ils m’ont beaucoup appris, j’avais envie de leur donner quelque chose en retour. L’échange a été passionnant ». La construction d’espaces pour la danse contemporaine au Mali prendra sans doute du temps, mais elle est entre de belles mains.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Sur le festival BAM BAM BAM au TU à Nantes, du 10 au 13 juin 2021 : https://tunantes.fr/agenda/bam-bam-bam-jeune-creation-africaine
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