Après le succès des Dialogues des carmélites, Patricia Petibon retrouve Olivier Py autour d’un diptyque lyrique qui revisite avec jubilation La Voix humaine de Poulenc enrichie de Point d’orgue, une pièce inédite qui se présente comme « sa suite et son envers » selon son metteur en scène et librettiste dont le texte est génialement mis en musique par le compositeur Thierry Escaich. Le spectacle est à découvrir en ligne en VOD sur le site du Théâtre des Champs-Elysées.
En assistant à une des toutes dernières répétitions du spectacle au théâtre des Champs-Élysées, on perçoit aussitôt une ambition musicale et théâtrale hors du commun qui revigore dans le contexte sanitaire et culturel actuel ; c’est ce qui a porté toute une troupe – une famille – d’artistes qui se connaît bien et s’apprécie à assurer même sans public la création mondiale d’un combo aussi frappant que fascinant dirigé par Jérémie Rohrer à la tête de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine. A l’origine de cette création se trouve la cantatrice Patricia Petibon qui poursuit sa traversée passionnée dans l’œuvre de Poulenc et sa collaboration à la fois artistique et amicale avec Olivier Py. « C’est un compositeur qui compte depuis mes débuts. J’ai découvert La Voix humaine très jeune avec l’enregistrement de Denise Duval et au fil du temps je m’attachais moins à son héroïne qu’à ce qui se cache au bout du téléphone. C’est la raison pour laquelle j’ai eu envie de réunir une plume et un compositeur pour produire un opéra contemporain qui permette de fantasmer cet autre côté. J’ai suggéré cette idée à Michel Franck qui, avec une pleine confiance, sait écouter et répondre comme rarement au désir des artistes. C’est donc un projet qui n’est pas comme les autres. Il a spécialement été écrit pour ses interprètes, s’est construit autour de nos corps, nos vocalités, avec l’engagement total de tous » s’enthousiasme-t-elle.
En toute complicité, Olivier Py et Patricia Petibon ont cherché une nouvelle approche du personnage principal pour tenter d’échapper au monolithisme et au sentimentalisme qui collent à l’ouvrage trop longtemps cantonné au genre du mélodrame. « Il y a plusieurs voix dans La Voix Humaine. Rien n’est uniforme dans cette œuvre. La partition protéiforme impose de passer du cri à la voix blanche au rire au lyrisme. Ses mélodies, ses couleurs, ses rythmes sont comme un camaïeu d’états d’âme. Je ne voulais pas camper une bourgeoise qui ne cesse de pleurer au téléphone sur son canapé, cela aurait été exaspérant et forcément moins intéressant que d’en faire une figure vraiment complexe et moderne. » déclare Patricia Petibon. « Elle peut tout de même nous paraître un peu agaçante… renchérit le metteur en scène, l’ultra-dépendance à son homme, son côté auto-culpabilisant devient même un peu gênant aujourd’hui. Mais il faut d’abord penser que c’est Cocteau qui parle de lui à travers elle, qui transpose ses propres émotions intimes dans un personnage féminin, c’est d’ailleurs assez humble et courageux de se montrer sous un jour aussi pathétique. »
On retrouve dans l’interprétation scénique proposée l’instabilité émotionnelle constante du personnage portée à son paroxysme d’un point de vue physique aussi bien que vocal. « La palette de jeu de Patricia est extraordinaire. Elle va de la petite fille à la femme fatale en passant par l’héroïne mystique. Elle relève et apporte des choses tout à fait nouvelles dans l’œuvre, notamment l’humour, la sensualité, et la violence psychotique. C’est presque hitchcockien par moment » observe Olivier Py. Confinée dans une boîte suspendue, elle se présente comme un animal en cage qui passe et se cogne d’un mur à l’autre jusqu’à ce que tout vacille autour d’elle d’une façon spectaculaire.
« La pièce prophétise incroyablement l’étrange expérience qu’on vit depuis un an, ajoute le dramaturge, tout le monde désormais connaît la solitude, l’enferment, l’ordinateur comme seul moyen de communication vers l’extérieur. » Pour autant, écrire une suite à l’œuvre était l’occasion d’élargir le cadre, de multiplier les personnages, de donner à voir l’envers de ce qui est raconté. Point d’orgue fait ainsi plonger dans un univers fantasmatique et décadent qui laisse transparaître un goût prononcé pour l’obscur mais étonnamment traité sur un ton burlesque, carnavalesque. « J’ai travaillé sur le trio de vaudeville du mari, de la femme, et de l’amant mais en cherchant à le pervertir au maximum » s’amuse Olivier Py.
En effet, l’homme de la seconde pièce, interprété par Jean-Sébastien Bou, se dévoile encore plus sombre et torturé que la femme qu’il a auparavant délaissée. Dans une chambre d’hôtel, accompagné d’un mystérieux compagnon appelé « l’Autre » – le duo est inspiré du couple Mephisto / Faust -, il s’adonne à des jeux de rôles sadomasochistes. « Le personnage de Cyrille Dubois est une sorte de Lulu masculin, la comparaison tient autant de la vocalité vorace des deux rôles mais aussi de l’univers malsain, très sexué et animal » souligne Patricia Petibon. « La relation homosexuelle portée au plateau dans Point d’orgue n’est pas un endroit de transgression pour ma part et ne doit pas réduire la dimension métaphysique de ce qui se joue bien qu’elle existe réellement. C’est un personnage en chute libre, tout ce à quoi il pourrait se raccrocher, que ce soit Dieu, la philosophie ou l’art, tout lui semble dérisoire » constate l’auteur. « Il y a chez Poulenc une évidente résilience mais toujours de la transcendance » conclut Patricia Petibon convaincue comme son metteur en scène par l’idée de racheter le personnage de La Voix humaine et d’ouvrir ses possibles. Exigeante et virtuose, la pièce de Thierry Escaich leur permet admirablement.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
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