Quel regard portez-vous sur les scènes nationales ?
J’ai un regard ému, car je suis sorti du circuit il y a peu de temps. J’ai connu avant les Centre d’Action Culturelle, et ensuite le Centre de Développement Culturel, et avant les Maisons de la Culture et je n’oublie pas que le Ministère de la Culture m’a envoyé ici à Nantes en 1982 pour créer la dernière Maison de la Culture – type Malraux. Et on n’a pas eu le temps de le faire parce que la municipalité a changé de bord et on m’a viré. Et c’est comme ça que toute notre histoire à débuté à Nantes. On a commencé à faire de la résistance. Donc j’ai tout connu. Et en même temps, c’est pareil. Une scène nationale, c’est comme un CAC. On avait les mêmes missions. On s’est un peu détaché du théâtre tout de même au fil des décennies. Les maisons de la culture étaient surtout les maisons du théâtre avec un peu de danse, et moi j’étais très partisan de la pluridisciplinarité. Et je trouve qu’elles ne le sont pas suffisamment. Ici à Nantes, au Lieu Unique c’est le cas, puisqu’il y a aussi de la philosophie, de l’architecture, de la musique, et des arts plastiques. Donc voici mon regard, on n’est pas allé jusqu’au bout, au moment où le Ministère ne faisait qu’une direction, je pense qu’il aurait fallu que ces lieux s’ouvrent plus. Sauf que ces lieux ont été construit comme des théâtres et c’est difficile d’en sortir.
Faut-il penser les outils différemment ?
Oui, Le problème du théâtre c’est l’outil. On a créé, et on crée encore des théâtres qui coutent cher, comme à Angers. Et la forme théâtre est contraignante. Vous avez un plateau, et puis une salle en amphithéâtre. Ca laisse peu de possibilités à cette discipline de sortir d’elle-même, de se développer d’une autre façon. On voit bien que les grands mouvements déterminant sont sortis du théâtre, du lieu. Je pense à Ariane Mnouchkine, le Living théâtre, le théâtre de rue avec Royal de Luxe…On a toujours éprouvé le besoin de sortir du lieu, mais aujourd’hui ces lieux coûtent cher, il faut les entretenir, il faut les alimenter, il n’y a donc pas trente mille formes possibles. D’où je pense le retard qu’a pris le théâtre sur les autres disciplines. Il ne parle plus suffisamment aux nouvelles générations. C’est ça l’impression que j’ai. Mais en même temps je me dis qu’on a pu créer des manifestations à partir de ces lieux, comme Estuaires à Nantes autour de l’art plastique. On ne l’aurait jamais fait si on n’avait pas eu comme plate forme le Lieu Unique, où l’on a joui d’une totale liberté. Pour moi les Scènes Nationales doivent être utilisées comme des plates formes, comme des lieux d’expérience et de recherche.
On connaît les difficultés financières de la Culture en France ? Faut-il encore ouvrir de nouvelles Scènes Nationales ?
Il est normal que chaque ville ait envie d’avoir sa Scène. Mais quand on parle de réduction des financements on pense à l’Etat. C’est lui qui se recroqueville, qui se retire. Il ne joue plus le rôle noble et prestigieux qu’il a joué. L’Etat aujourd’hui disparaît de ces lieux, mais les Collectivités Territoriales et les grandes villes ont énormément misé sur la culture : Lille, Lyon, Nantes…Et là il y a de la ressources. Les villes ont compris aujourd’hui que la culture, non seulement est le bien vivre dans une ville, mais c’est aussi de l’image. Et c’est aussi la possibilité de créer un tourisme culturel avec des retombées indirectes. Toutes les grandes villes sont en compétition sur cette question de l’attractivité pour y habiter, pour y faire des affaires. Il va y avoir de plus en plus d’argent sur ce créneau là et c’est une bonne chose.
Donc, vous nous dites que les structures classiques vieillissent et qu’il faut qu’elles s’ouvrent davantage…
C’est évident. Il faut que les lieux, les institutions existent parce que ce sont des lieux de liberté, où on fout la paix aux artistes et c’est très précieux pour une démocratie. Mais en même il faut que ces lieux rendent des gages à l’espace public et civil. Et qu’ils sortent d’eux-mêmes, qu’ils inventent des manifestations pour tout le monde avec de la qualité et de l’exigence, en allant dans des espaces où tout le monde passe. Les gens ne vont plus dans les théâtres d’abord parce que les jauges ne peuvent pas contenir tout le monde, c’est impossible. Au Lieu Unique la jauge sur une année pour le spectacle vivant c’est 35 000 places dans une agglomération de 500 000 habitants. Donc on voit bien qu’on ne peut pas toucher tout le monde, donc il faut aller dans l’espace public. C’est la leçon que j’ai tiré de ces vingt dernières années.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !