La directrice de la MC93 Bobigny a récemment pris la tête de l’Association des Scènes Nationales. Dans la période de crise que traverse le spectacle vivant, elle jongle entre problématiques conjoncturelles et réflexions structurelles.
Comment se portent les scènes nationales dans cette période si particulière ?
Hortense Archambault : Elles sont évidemment inquiètes car elles sont en première ligne pour mesurer les potentiels effets sur le long terme de la crise que nous vivons, et surtout de la fermeture des lieux culturels. Elles ressentent la fragilité des artistes et des interprètes, et redoutent un embouteillage dans les mois à venir avec les multiples reports de spectacles d’ores et déjà programmés. Elles craignent aussi que les liens tissés, au long d’un travail minutieux, avec les structures associatives et éducatives des territoires où elles sont implantées s’affaiblissent, à cause des difficultés actuelles pour entretenir ces relations.
En même temps, le réseau des scènes nationales tient bon. Il prouve sa capacité à se montrer solidaire avec les populations et avec les artistes, en leur proposant des temps de répétitions, en organisant des reports, en accueillant des résidences. Ces dernières semaines, les initiatives, qui témoignent toujours d’une grande inventivité, se sont multipliées. Elles permettent d’assurer, autant que faire se peut, une certaine continuité du service public de la culture.
Quels peuvent être les effets de cette crise sur le long terme ? Peut-elle permettre de réinterroger le fonctionnement des scènes nationales ?
Il est difficile de comprendre, dès aujourd’hui, l’impact que cette crise peut avoir sur nous, à l’échelle collective et individuelle. Elle permet toutefois d’expérimenter des choses nouvelles, de rendre visible certaines actions auparavant sous-jacentes, de multiplier les projets hors-les-murs et avec les habitants, de développer le numérique à travers l’invention d’objets inédits, qui vont au-delà des captations. On découvre que les scènes nationales, qui sont principalement des lieux de diffusion, voire de production, de spectacles, peuvent être autre chose et gagner en visibilité sur les territoires, même sans spectateurs.
Alors que d’aucuns auraient parié le contraire, nous faisons preuve de souplesse et d’agilité. Nous démontrons notre capacité à transformer des projets, à saisir chacun des interstices dans lesquels nous pouvons nous glisser pour accompagner les artistes et les spectateurs. Toutes les structures sont confrontées aux mêmes questions, mais toutes n’apportent pas forcément les mêmes réponses. Cette diversité constitue la force de notre réseau. Les scènes nationales sont très différentes de par leur format, leur histoire, leur ancrage territorial. Le réseau national est un lieu de partage de bonnes pratiques, mais les projets sont toujours différents en fonction du territoire et des personnes qui les portent.
Certains artistes pensent que nous serions arrivés au bout d’un modèle, que l’injonction à créer serait devenue une course folle et que la crise pourrait changer la donne. Qu’en pensez-vous ?
Il y a beaucoup moins de recherche de créations dans le réseau des scènes nationales car notre idée, et notre mission, est avant tout de proposer la création contemporaine sur l’ensemble du territoire. Cette problématique, et je suis bien placée pour le savoir [Hortense Archambault a co-dirigé le Festival d’Avignon avec Vincent Baudriller entre 2004 et 2013, NDLR], concerne plutôt les festivals et les institutions parisiennes qui ont besoin de visibilité. A titre personnel, je ne pense pas que la crise provoquera des changements radicaux sur ce point.
Dans le même esprit, des voix plaident pour un allongement des séries de représentations afin de pouvoir conquérir un public plus large, ce qui pourrait constituer un chantier, notamment, pour les scènes nationales…
Cette question existait déjà avant la crise, elle rejoint la question écologique, et je pense qu’elles vont être encore plus partagées à l’avenir. La mission d’une scène nationale est d’être, à la fois, pluri-disciplinaire et ancrée sur un territoire. Les réponses à apporter sont très différentes selon qu’on soit implanté en région parisienne ou dans une région sans autre offre de spectacles. On nous reproche souvent de faire des saisons qui se ressemblent, mais, lorsqu’on regarde les programmes de plus près, on observe, au contraire, une grande diversité et une expression de la subjectivité de chaque directrice et directeur. Allonger les séries implique de resserrer le nombre de propositions, et donc le nombre de spectacles accueillis, ce qui n’est pas sans poser d’autres interrogations. Nous devons, collectivement, continuer à réfléchir.
Depuis les dernières élections municipales, on observe, çà et là, une ingérence plus forte des collectivités locales dans le fonctionnement des établissements culturels qui n’est pas sans provoquer quelques remous…
C’est un vrai sujet, lié à plusieurs facteurs, et notamment à une moindre connaissance des élites. Le personnel politique qui arrive aujourd’hui aux responsabilités n’a pas forcément une pratique culturelle du spectacle vivant. Pour pallier cette méconnaissance, nous devons travailler ensemble afin que les politiques puissent impulser une politique culturelle tout en veillant à ce que les acteurs culturels conservent leur indépendance. Le réseau des scènes nationales est aussi à la croisée des chemins : vraiment national, et garanti par le ministère de la Culture qui nomme les directrices et directeurs, mais aussi tout à fait territorial. Il peut donc se retrouver en première ligne dans les tensions possibles entre ces deux niveaux.
Je pense que les politiques doivent également se former en matière de politique culturelle et que nous devons aboutir à une meilleure connaissance mutuelle. L’Association des Scènes Nationales (ASN) s’est d’ailleurs rapprochée de l’Association des Maires de France (AMF) pour que nous travaillons, ensemble, sur une telle formation. Car, lorsqu’elle n’est pas problématique, la collaboration peut déboucher sur des choses formidables. Grâce à son ancrage, la scène nationale contribue à l’attractivité du territoire, à la vie de la cité, et peut être un accélérateur du vivre-ensemble. Avec 40% de nouveaux élus aux dernières élections municipales, il y a obligatoirement des questions de réglages.
Pourquoi avez-vous souhaité prendre la présidence de l’ASN ?
Je me suis dit que c’était utile car je crois au bien commun et au collectif. C’est une association volontairement petite qui vise à faire exister le réseau et à le faire reconnaître. Elle fonctionne comme un think tank, avec de nombreuses commissions. Dans cette période de transition, nous avons lancé trois chantiers sur l’organisation interne de nos maisons, les relations avec les territoires et les populations – notamment à travers la question des droits culturels et des tiers-lieux – et la durabilité, tant en matière d’environnement, d’inégalités que d’international.
Réfléchir ensemble permet de prendre acte qu’on ne sait pas tout, qu’on a besoin nous-mêmes de se former en échangeant des bonnes pratiques. Sur les 76 scènes nationales françaises, 73 font partie de nos adhérents. Le réseau s’est beaucoup renouvelé et des générations différentes y sont désormais représentées. Alors, forcément, nous ne sommes pas d’accord sur tout, nous débattons souvent, mais c’est cela qui fait notre richesse.
Propos recueillis par Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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