Carnets de création (2/28). En près de quarante ans de carrière, l’artiste a éclairé le travail d’un nombre incalculable de metteurs en scène, d’Arthur Nauzyciel à Jacques Vincey, de Christiane Jatahy à Thomas Ostermeier. Un métier qui lui permet de participer à la fabrique du monde des autres.
Le travail de Marie-Christine Soma est de ceux, rares, que l’on reconnait entre mille. Nul besoin d’éplucher la distribution d’un spectacle pour comprendre qu’elle se cache derrière les lumières qui, bien souvent, le magnifient. Pourtant, après presque quarante ans de métier, l’artiste nie avoir une « méthode ». Tout juste concède-t-elle posséder « un regard sur les choses » qu’elle met au service des autres. « Le créateur lumières est une sorte de peintre dont le geste est presque organique, lié de manière ultra intime à son corps et à son esprit, souligne-t-elle. J’ai une façon de regarder très personnelle, qui a évolué au fil des années, mais que je reconnais. Elle est toujours là, présente, et, en même temps, j’essaie de comprendre comment elle va pouvoir s’actualiser et renaître en fonction de chaque projet. »
Car, loin de s’enfermer dans un style unique, Marie-Christine Soma aime voguer d’univers en univers, avec une appétence certaine pour les caractères artistiques bien trempés. D’Arthur Nauzyciel à Jacques Vincey, de Christiane Jatahy à Thomas Ostermeier, elle a éclairé le travail d’un nombre incalculable de metteurs en scène avec, toujours, ce goût du dialogue. « Contrairement à d’autres, je vais beaucoup aux répétitions car j’aime voir les choses quand elles se font sans artifices, précise-t-elle. Pour moi, il est important de regarder avant d’apporter la réponse à ce qui m’est offert. Ce n’est qu’ensuite, avec le langage de la lumière, que je peux entrer en communication avec le metteur en scène pour comprendre son projet. »
Appréhender les contraintes
Des projets qu’elles n’hésitent plus, aujourd’hui, à sélectionner en fonction de la « sincérité » de ceux qui les portent. « Quand on vient vers moi simplement parce que j’ai un gros CV, cela ne constitue pas une bonne base de travail, tance-t-elle. J’ai besoin d’entendre quelque chose qui résonne, de sentir qu’un artiste monte un spectacle car il a des bonnes raisons de le faire. Que ce soit Denis Marleau, Christiane Jatahy, Thomas Ostermeier ou Benjamin Porée, tous ont quelque chose de puissant en eux. » Et un rapport au plateau, à ses dimensions, aux corps dans l’espace le plus concret possible. « Lorsque j’étais jeune, j’ai pu, en tant qu’assistante de Dominique Bruguière, travailler avec Patrice Chéreau qui avait une vision concrète du plateau dans son sens physique, presque architectural, se souvient-elle. Il m’a appris qu’on ne fabrique bien les choses qu’en connaissance de cause, que les contraintes doivent être les moteurs de la création, car les appréhender nous permet d’être libres. »
Depuis cet âge d’or, où elle a commencé au côté d’Henri Alekan qu’elle assistait sur Question de géographie de John Berger, Marie-Christine Soma a vu son métier évoluer. Après l’expansion des années 1990, où de nombreuses grandes formes sont nées, la création lumières, « qui coûte cher », a dû composer avec moins d’argent, et donc moins de temps, « ce qui reste le plus douloureux », regrette-t-elle. Surtout, elle a observé un étonnant point de bascule avec l’arrivée des 35 heures. « A partir de ce moment, les techniciens ont moins bien gagné leur vie et sont devenus interchangeables, constate-t-elle. Le fait qu’ils ne soient plus, dans la plupart des lieux, accrochés à un projet, mais de passage, obère la logique de compagnonnage et empêche qu’ils soient personnellement gratifiés du travail de l’éclairagiste. C’est une perte pour moi, une vraie blessure car l’éclairagiste ne réussit réellement que s’il a une équipe avec lui. J’éprouve une grande nostalgie de ce temps là, de cet artisanat là, de cette noblesse de la technique. »
Passer à la mise en scène
Cette évolution, Marie-Christine Soma l’a également expérimentée dans son parcours artistique. Partie de l’ombre où, étant jeune, elle se réfugiait, par très grande timidité, elle a, ces dernières années, glissé vers la lumière et décidé de monter ses propres spectacles, avec son amour des textes en bandoulière. « Petit à petit, j’ai compris que la lumière avait à voir, de façon souterraine, avec la mise en scène, note-t-elle. J’ai alors eu envie de raconter moi-même quelque chose, de fabriquer un monde qui viendrait complètement de moi. Avec Daniel Jeanneteau, qui vient de la scénographie, on s’est mutuellement aidé pour franchir ce cap qui n’avait rien à voir avec une volonté narcissique de se mettre en avant. » Au rythme d’une pièce tous les trois ou quatre ans, elle a notamment adapté Les Vagues de Virginia Woolf, Le Bâtisseur de ruines de Clarice Lispector et, beaucoup plus récemment, 7 de Tristan Garcia. Intitulé La Septième, ce spectacle fut, comme tant d’autres, percuté par la crise du Covid-19 et la fermeture des théâtres. « J’attends, malgré tout, avec impatience qu’il éclose quelque part car, au-delà du bonheur qu’il m’a procuré, il marque un pas dans ma façon de travailler, dans ma liberté », assure l’artiste.
En attendant, Marie-Christine Soma se consacre à ses prochaines collaborations avec Salia Sanou et Daniel Jeanneteau, avec qui elle devrait respectivement créer Un rêve à Montpellier Danse et Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Lille, malgré les incertitudes du temps présent. « Si elle ne fait naître, pour l’instant, aucun élan créatif chez moi, cette période pose beaucoup de questions, notamment politiques, confie-t-elle. Dans les années à venir, je crois qu’il y aura beaucoup de transformations, pour certaines violentes, pour d’autres nécessaires. J’ai l’impression que nous sommes arrivés aujourd’hui au bout d’un modèle qu’on a longtemps défendu et tenu à bout de bras, en ne voyant plus ses limites alors que le monde changeait. Il faut que nous tentions de faire de cette crise une chance pour être les moteurs d’une autre proposition, sortir de cette logique où les spectacles sont devenus des produits pour un marché, où l’avalanche de créations qu’on nous réclame ne laisse plus la place à l’imprévu et met les artistes sous pression, où les créateurs sont, en fin de compte, contraints et forcés de devenir des stratèges. » Comme un cri du cœur, et de l’esprit, pour sortir, par le haut, du marasme ambiant.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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