La metteuse en scène est membre du collectif On Ouvre. Coordonné par La Loge, ce regroupement d’artistes a appelé les lieux culturels à ouvrir symboliquement leurs portes le 17 décembre dernier, et il ne compte pas en rester là.
Quelles sont les motivations du collectif On Ouvre dont vous faites partie ?
Lorraine de Sagazan : A l’origine, On Ouvre est un collectif d’artistes, insufflé par La Loge et composé, entre autres, de Marion Siéfert, Léa Tarral, Camille Dagen, Tamara Al Saadi, Vanasay Khamphommala, Das Plateau et moi-même, qui a pour but de se réunir et de réfléchir collectivement à la situation que nous vivons. Dans une période où les artistes sont soumis aux annonces du gouvernement, mais aussi à la façon dont les lieux gèrent ces consignes, il était important qu’ils puissent se regrouper sans dépendre d’une instance supérieure. Depuis le premier confinement, nous réfléchissons à la fermeture des lieux culturels et cherchons à en comprendre profondément les raisons ; nous imaginons des actions pour réagir et analysons ce qui ressemble, de plus en plus, à un projet politique avec lequel nous sommes en désaccord.
En encouragent les lieux culturels à ouvrir leurs portes le 17 décembre dernier, nous souhaitions faire de cette journée un symbole pour montrer l’absurdité de leur fermeture en l’absence de preuve tangible de contamination. Même si nous sommes encore en cours de construction et très en mouvement, nous songeons à nous associer à d’autres luttes – contre la domination, les inégalités, les violences multiples –, qui sont très facilement évoquées dans les programmes de salle et dans les compagnies, et à d’autres secteurs au-delà de la culture.
Lesquels ?
Les intermittents de l’emploi, par exemple, qui dépassent les intermittents du spectacle, les métiers du soin sur lesquels nous avons ouvert un groupe de travail pour réfléchir à ce que veut dire « la santé » dans nos sociétés, mais aussi les secteurs fermés depuis plusieurs mois. Dans nombre d’entre eux, à l’image de ce qui se passe dans les universités, la période a, et aura, des conséquences psychologiques et psychiques énormes. C’est, et ce sera, une vraie catastrophe, au-delà du virus lui-même. Il ne s’agit évidemment pas de dire que ce virus n’est pas grave, car nous en avons tous bien conscience, mais simplement que la question du risque/bénéfice est peu ou mal posée. Dans beaucoup de métiers touchés, on constate un désaccord avec les mesures prises et, en même temps, une docilité, notamment dans le milieu de la culture.
Comment peut-on l’expliquer ?
D’abord par un épuisement général, chez les artistes comme dans les lieux, à cause de la stratégie du « stop & go » qui a mis tout le monde sur les rotules. Il y a aussi un sentiment de découragement très fort et, de plus en plus, de la tristesse, voire de la désillusion. Mais cela ne peut pas tout expliquer. Cette docilité peut également s’apparenter à une forme de complicité passive. C’est pour cela que nous avons besoin de réfléchir, et pas seulement à court terme, en réaction à une annonce, mais bien sur un changement de paradigme et sur les moyens de se faire entendre. Nous n’allons quand même pas vivre cette situation de fermeture sans agir. Je crois aux vertus de la vigilance critique et de la dissidence civique.
Ce manque de réaction n’est-il pas aussi révélateur d’un manque d’unité, des fractures entre le public et le privé, les artistes et les lieux, voire entre les artistes eux-mêmes ?
C’est une vraie question qui n’est pas nouvelle, mais qu’il va falloir commencer à se poser sérieusement. Encore plus dans cette période où certains ont la tentation de diviser pour mieux régner et où, avec la précarité que l’on connait, chacun va se battre pour son pré-carré et chercher à sauver sa peau. C’est ce qui peut expliquer l’absence de parole commune. Je suis par exemple frappée de n’entendre que très peu de prises de parole sur la nécessité profonde d’ouvrir un théâtre, sur les raisons de faire le métier que nous faisons. La période est propice à ce type de réflexions et c’est exactement ce que nous essayons de faire au sein d’On Ouvre. Il ne faudrait pas que l’épuisement général conduise au conformisme et je pense qu’il faut s’unir pour ne pas s’écrouler isolément. C’est là le sens du collectif.
On Ouvre envisage-t-il d’autres actions directes dans les jours et les semaines à venir ?
Nous sommes en lien avec des lieux, avec qui nous fonctionnons au cas par cas car ils ont, pour certains, des contraintes très compréhensibles. Ces derniers jours, on observe une multiplication, dans un nombre croissant de villes et de structures, d’actions directes, telles que des ouvertures symboliques. En intensifiant ce genre d’événements, il peut y avoir un effet boule de neige qui nous sortirait de l’inertie, qui montrerait que, face aux arbitrages politiques du gouvernement, nous ne sommes pas des traîtres à nous-mêmes. Les gens sont essorés d’avoir l’impression d’écoper un bateau depuis des mois. Il va donc falloir colmater les fissures à la base.
Propos recueillis par Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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