Le référé liberté du spectacle vivant auprès du Conseil d’État devrait être déposé mercredi et recevoir une réponse vendredi. Il devrait concilier plusieurs approches et plusieurs requérants. Au vu des récentes décisions du Conseil d’État, il semble souhaitable que le spectacle vivant suive davantage les voies de l’Église que celles des stations de ski.
Et si c’était François Bayrou qui avait finalement permis aux lieux de culte de basculer de la jauge de 30 personnes à celle de 30% pour leurs offices religieux ? Le haut-commissaire au Plan et le président du MoDem avait demandé des « adaptations » au Président de la République. Le Conseil d’État, dans son jugement favorable au référé introduit par l’Église, retient en effet que la décision de limiter à 30 le nombre de personnes dans un lieu de culte s’appuyait entre autres sur un lapsus du Président Macron, comme l’avait affirmé le maire de Pau, et qu’elle était par conséquent disproportionnée.
L’anecdote – outre ce qu’elle dit d’institutions soumises à la parole jupitérienne – doit intéresser les avocats qui vont maintenant se charger de porter le référé-liberté du spectacle vivant auprès du Conseil d’État. Un référé et un seul, semble-t-il, même si deux mouvements ont été lancés. L’un par des théâtres de ville parisiens – Le Paris-Villette, le Monfort, le théâtre 14, le 104, le Rond-Point, le Théâtre 13, les Plateaux Sauvages et l’Étoile du Nord (mais pas le Théâtre de la Ville). L’autre, de plus grande ampleur, mené par la SACD et le SYNDEAC, regroupant de nombreux syndicats de structures de spectacle vivant et de salariés, ainsi que des collectivités territoriales, avec à son compteur, à l’heure qu’il est, plus de 500 soutiens (mais pas les théâtres nationaux).
Trois approches semblent devoir alimenter l’argumentaire qui sera présenté par les avocats dépêchés pour l’occasion. La différence de traitement entre lieux de cultes et de spectacle vivant. L’iniquité vis-à-vis des commerces, qui sont, eux, autorisés à rouvrir. Et enfin, la question de la liberté d’expression artistique, qui est empêchée par cette fermeture prolongée des lieux de spectacle et de cinéma.
« La question de l’équité de traitement n’est pas la bonne approche », explique Mathieu Touzé, co-directeur du théâtre 14 et avocat. « A mon avis, ça ne marchera pas par comparaison. Pour aboutir, il faut prouver qu’il y a une atteinte grave et manifestement illégale à un droit fondamental. Dans ce cas, ça peut être la liberté d’expression, la liberté de création ou la liberté d’entreprendre ». De son côté, Adrien de Van, co-directeur du Paris-Villette, rassure sur le fait que « les avocats que nous avons choisis vont se réunir avec ceux de la SACD, et ils définiront ensemble leur argumentaire ».
A ce sujet, si l’on s’en tient aux décisions concernant le référé mené par les domaines skiables, rejeté par le Conseil d’Etat le 11 décembre, il y aurait de quoi être pessimiste. Absence d’évaluation par le gouvernement du protocole sanitaire préparé par les stations de ski et interrogations par ces dernières sur le fameux brassage invoqué là aussi par le gouvernement, qui en même temps réautorise les déplacements, n’y ont rien fait. Le référé a été rejeté.
Mais le référé mené entre autres par l’Association des évêques de France et la fameuse association Civitas (celle-là même qui envoyait ses membres perturber les représentations d’un spectacle de Romeo Castellucci il y a quelques années au Rond-Point) laisse, lui, espérer mieux. Il a abouti. L’examen de l’arrêt est à ce titre très intéressant. La mesure contestée – limiter l’assistance dans les lieux de culte à 30 personnes – y est notamment jugée « inadaptée » en l’absence de preuves que les Églises constituent des clusters, « non nécessaire » dans la mesure où un protocole sanitaire suffisant est prévu par l’Église, « disproportionnée » car elle ne tient pas compte de la taille des lieux (le fameux lapsus du 30 personnes pour 30 %), et « discriminatoire » puisque dans les commerces une surface de 8m2 par client suffit à justifier leur réouverture. Autant d’arguments qu’on imagine aisément transposés du côté du spectacle vivant.
Dès lors, le spectacle vivant devra-t-il suivre les voies de l’Eglise ? Pour Robin Renucci, directeur de l’ACDN, qui s’associe au référé mené par le SYNDEAC et la SACD, « il est avant tout question de replacer l’art et la culture au centre du débat ». Et pour Adrien de Van, « on veut que le gouvernement s’explique. Savoir qui a pris cette décision. Sur quelle base. En quel nom ». Outre la problématique juridique qu’il développera, ce référé est donc aussi, bien sûr, un moyen de faire pression sur le gouvernement et de placer la question du rôle de la culture dans notre société au cœur de l’actualité.
« Ils commencent enfin à se bouger », constate Vincent Moiselin, Président du SYNDEAC. « Nous avons rendez-vous aujourd’hui (lundi 14 décembre NDLR) à 17h15 au Ministère de la Culture. Mais, ça a été long, ils ne nous avaient pas appelé du week-end ».
Laurence de Magalhaes, la directrice du Monfort a écrit une très longue lettre au Premier Ministre, Jean Castex pour exprimer sa colère. « Si, depuis le début de la crise sanitaire, le milieu culturel s’est adapté à toutes vos injonctions et a respecté toutes les mesures à la lettre, pour la première fois, nous réagissons et faisons entendre notre voix : trop, c’est trop ! Arrêtez de nous infantiliser, de nous mépriser. Vos mensonges sont inadmissibles et portent atteinte à la crédibilité de la parole publique » écrit-elle. « Les mesures de soutien financier ne suffisent plus. L’argument sanitaire n’est plus convaincant » explique de son côté Cécile Backès, la metteuse en scène et directrice du CDN La Comédie de Béthune en précisant dans un post publié sur facebook que « c’est une loi qui a permis de protéger la réouverture des lieux de culte, grâce à l’intervention du Conseil d’Etat. C’est pourquoi aujourd’hui les théâtres, artistes et équipes, se tournent vers lui pour demander de l’aide ».
Eric Demey – www.sceneweb.fr
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