Depuis une dizaine d’années, Rébecca Chaillon crée avec sa compagnie Dans Le Ventre des spectacles centrés sur les paroles et les corps féminins. Des performances engagées, féministes et décoloniales.
Pour aborder la personnalité de Rébecca Chaillon, il est naturel d’aller vers l’image. Les parures brillantes, souvent composites dont elle aime à se déguiser sur scène sont de celles que l’on retient. De même que son maquillage, qu’elle étale avec art sur son visage dans plusieurs de ses spectacles, ou encore son corps dont elle donne souvent à voir de près les courbes généreuses. Qu’elle soit seule au plateau ou qu’elle joue avec d’autres, pour d’autres, Rébecca Chaillon se fait tableau. Elle se fait peinture bien vivante, gourmande de bien des choses, comme l’indique le nom de sa compagnie, « Dans Le Ventre », qu’elle crée en 2006. En des rituels très personnels, mais qui peuvent en évoquer d’autres, elle se transforme à vue. Elle est magique, monstrueuse, romantique, canaille, carnivore… En une dizaine d’années, la performeuse, auteure et metteure en scène a su se constituer un langage bien à elle. Un vocabulaire hybride, au service d’une pensée en mouvement, féministe et décoloniale.
« Se débarrasser des metteurs en scène »
Cette manière si particulière d’être à la scène, Rébecca Chaillon la doit en partie à ses débuts au sein de la compagnie de théâtre forum Entrée de Jeu. Elle y aborde tous types de sujets de société, notamment liés à la condition féminine, et commence à acquérir la certitude que « le théâtre appartient à tous, que tout le monde peut y avoir accès et avoir quelque chose à y dire ». À commencer par elle-même. Sa rencontre avec Rodrigo Garcia, dans le cadre d’un Chantier Nomade, est un déclencheur, un top départ. « J’étais fan de cet artiste depuis longtemps. Approcher son travail m’a permis de me dire qu’il était possible de se débarrasser des metteurs en scène, de se libérer de ce qui existe. Il m’a fait prendre conscience que je possède moi aussi des savoirs, et m’incite à passer par moi pour les exprimer ». Après 8 femmes et Savantes !, « des spectacles très Girl Power, avec que des filles au plateau », Rébecca se met elle-même en scène sur ses propres textes : c’est L’Estomac dans la peau, qu’elle considère comme le véritable acte de naissance de sa compagnie.
Ses origines, son rapport à la nourriture, à la notion de genre, à la sexualité, à son corps… Tous ces sujets qu’elle aborde et performe dans ce seul en scène « coaché » par Rodrigo Garcia, Rébecca Chaillon en réalise la portée politique dans sa rencontre avec les spectateurs. « À leurs retours, j’ai compris ce que les gens voyaient sur scène : une meuf noire, gouine. Ce n’était pas mon sujet, en tous cas ce n’était pas conscient. Ça l’est devenu, et je crois que ça l’est de plus en plus ». Avec sa création suivante, Monstres d’amour (je vais te donner une bonne raison de crier) (2015), la performeuse poursuit sa mise à nu, au sens propre comme au figuré. Avec Élisa Monteil, elle y traite d’une relation toxique. Elle y questionne l’imaginaire lesbien, le rapport entre noirs et blancs… Sujet qu’elle approfondit auprès du collectif Décoloniser les Arts, qui contribue à l’évolution de son geste, à la revendication de sa dimension politique.
Une « meuf » qui ne fait pas que genre
Ce chemin vers une position et une parole de plus en plus engagée, Rébecca Chaillon tient à en réinventer sans cesse les formes. Le goût du risque et de l’inconnu la guide. Alors lorsque La Ferme du Buisson lui propose de créer une pièce sur le foot par exemple, elle fonce. « Je ne connais rien au foot à l’époque, je dirais même que je m’en fous, mais je sens qu’il y a quelque chose à tenter, que c’est une occasion de porter différemment sur scène la communauté ‘’meuf’’. Naît Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute (2018), qui va au-delà de la question du genre pour aborder différents types de discriminations. Elle partage le plateau avec neuf interprètes, pour « raconter une histoire politique des corps, des identités féminines et du football ».
Dans cette volonté de dépasser la question du genre, l’artiste travaille en ce moment à sa prochaine création, Carte noire nommée désir. Elle y affirme la pensée décoloniale, militante, qu’elle cultive depuis sa participation au film d’Amandine Gay, Ouvrir la voix / Speak Up. Sans jamais cesser de s’interroger sur son geste, sur son sens, ses enjeux. « Je ne veux pas m’enfermer dans le langage que j’ai développé, pour lequel on me connaît. Je sens que j’ai besoin d’aller vers d’autres pratiques, pour m’en nourrir. Il est peut-être temps de réaliser une vieille envie : passer mon CAP boucherie ! Et de structurer ma compagnie, de permettre à nos créations de vivre plus longtemps. Une manière pour moi de prendre soin des autres, de ceux qui m’entourent. Nous en avons un grand besoin ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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