Génération sceneweb (21/30). Depuis la création de sa compagnie La Part des Anges en 2011, Pauline Bureau défend avec un noyau d’acteurs fidèles un théâtre au féminin. Un théâtre qui fouille, qui débusque dans l’Histoire et le présent des tragédies et injustices passées sous silence.
« Pourquoi pas ». Pauline Bureau se rappelle de cette réponse qu’elle se fait à elle-même, quand Violette Belkady du Nouveau Théâtre de Montreuil lui propose d’écrire une pièce sur la condition féminine de nos jours. Nous sommes en 2010. Fraîchement sortie du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, la jeune femme n’a alors à son actif que deux créations : une adaptation du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare avec sa promotion pour la sortie de l’école, et un Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès; où elle retrouve plusieurs de ses camarades. Entre ces deux pièces, elle a « eu la chance de croiser les bonnes personnes. Alice pour les costumes, Vincent pour le son, Benoîte pour la dramaturgie et peu après Emmanuelle pour la scénographie ».
Lorsque la réflexion suscitée par la demande du Nouveau Théâtre de Montreuil prend forme, elle rassemble autour d’elle toutes ces personnes. Le noyau de La Part des Anges est né, avec d’emblée le désir de vivre un collectif sur la durée. Réponse à la commande, Modèles donne aussi le ton et les thèmes de la recherche théâtrale que la compagnie poursuit jusqu’à aujourd’hui : il s’agit de dire le monde au féminin. Fruit d’une écriture collective – sept artistes le co-écrivent avec Pauline Bureau –, cette pièce est le « portrait d’une génération qui témoigne avec ses propres mots et ceux de Despentes, de Cat Power, de Duras, de Bourdieu… pour raconter les blessures, les bouleversements du corps, les expériences de femmes ». Sans tabous, sans détours, à rebours des représentations dominantes.
Toutes les femmes de Pauline
Modèles ne devait se jouer que cinq fois ; il est repris la saison suivante au Théâtre du Rond-Point, puis pour plus de cent dates en tournée. Pauline a le temps de faire mûrir les prises de conscience, les envies qu’ont éveillé chez elle et ses complices cette pièce fondatrice de La Part des Anges. « Jusque-là, les questions de genre n’étaient pas centrales dans mes réflexions. Mais en m’y penchant, j’ai réalisé à quel point le répertoire étudié au Conservatoire est masculin. J’ai mesuré la rareté des écritures féminines consacrées à des sujets proprement féminins. Comment se fait-il par exemple que personne ne parle des règles, alors que cela concerne la moitié de l’humanité ? Et de l’avortement, hormis L’Événement d’Annie Ernaux ? J’ai commencé à ressentir le besoin de récits qui ressemblent aux conversations que nous avons eues avec l’équipe pour la création de Modèles ».
Loin de l’enfermer dans une écriture de plateau, ce succès précoce est pour Pauline Bureau le départ du développement d’une écriture « plus personnelle ». Sa création suivante, Sirènes (2014), est ainsi pour elle fondatrice d’une manière particulière de prendre la parole sur les sujets qui l’intéressent. « Ayant pu constater que mes questionnements personnels font échos à ceux de nombreuses autres femmes, je commence à partir de cette pièce à raconter des histoires qui font écho à la mienne ». Dans cette deuxième création, elle porte sur scène l’histoire sur plusieurs générations d’une famille marquée par la disparition du père. Spectacle jeune public, Dormir cent ans traite ensuite du passage de l’enfance à l’adolescence à travers la relation de deux jeunes gens. Avec Mon cœur (2017), Pauline Bureau prend un autre tournant : pour nourrir ses fictions, elle se met à recueillir de nombreux témoignages. Elle se fait carrefour de récits, au féminin bien entendu.
Tragédies et émancipations
« Tenir bon. Rire beaucoup, pleurer parfois », écrit Pauline Bureau sur le site internet de sa compagnie. Ces quelques mots résument bien sa démarche. Ils disent la force, la joie qu’exprime La Part des Anges jusque dans ses explorations les plus rudes. Comme celle de Mon cœur, qui dresse le portrait d’une victime du Mediator, Claire Tabard. Ou de Hors la loi (2019) créé pour la Comédie-Française, où l’auteure et metteure en scène prend pour héroïne une femme dont le nom n’a pas été retenu par l’Histoire : Marie-Claire Chevalier, pourtant au centre du Procès de Bobigny de 1973 porté par l’avocate Gisèle Halimi, qui contribue à l’adoption en 1975 de la Loi Veil sur l’IVG.
Nourries par de longues recherches documentaires et par un travail d’entretiens, ces tragédies contemporaines sont des fictions – Pauline Bureau ne se reconnaît pas dans l’appellation en vogue de « théâtre documentaire » – au fort degré de réalité. Les combats que relate Pauline Bureau sont parfois plus légers. Ainsi Féminines (2019), sa dernière création, est-elle consacrée à l’équipe féminine qui remporte en 1978 la Coupe du monde de football. En cours d’écriture, sa prochaine pièce Pour autrui racontera l’histoire d’une gestation particulière : celle d’une femme qui, ne pouvant avoir d’enfants, fait appel à une mère porteuse aux États-Unis. Avec un langage scénographique plus développé d’un spectacle à l’autre, Pauline Bureau poursuit sa belle contribution à la diversité des récits, qu’elle juge plus indispensable aujourd’hui que jamais. « Le théâtre doit être un lieu de déconstruction des stéréotypes. Je veux que mes voisins y soient représentés, et pas toujours les mêmes ! ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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