Avec une vitalité engageante, huit danseurs africains se font les talentueux interprètes de Omma, la dernière pièce particulièrement tripale de Josef Nadj de passage à la MC93 de Bobigny.
Ils sont huit danseurs et apparaissent d’abord en ligne. Ils sont vêtus d’une veste et d’un pantalon de costume mais ne portent ni chemise ni souliers. Torse et pieds nus, ils paraissent immédiatement aux antipodes de silhouettes guindées. Trouvant l’élan dans une ample respiration commune qui se répète à l’envi, ils investissent l’espace noir et totalement nu qu’offre à eux Josef Nadj. Le chorégraphe qui a singulièrement travaillé à incorporer quantité d’objets et de matière dans sa danse – la terre, la boue par exemple jaillissaient dans Paso Doble créé en duo avec le peintre Miquel Barcelo – adopte ici un geste qui se veut plus dépouillé, plus essentiel, originel même. La plasticité de sa dernière pièce, Omma, ne veut reposer que sur la physicalité de ses interprètes, exclusivement masculins. Ces derniers prennent d’assaut la scène pour donner libre cours à la joie et la fureur de danser.
Le premier tour de chauffe se propose comme une simple exploration de l’ancrage au sol, du souffle, de la voix. Ce tableau inaugural s’apparente à un éveil. Puis sous la forme d’une intense gradation, le geste s’amplifie et se présente cette fois comme un déferlement de sons et de mouvements polyrythmiques. Dans l’apparent désordre qui en résulte, la danse se veut et se fait toujours mouvante et surprenante comme une partition faussement improvisée.
Les danseurs déclinent alors une variété de gestes et d’états émotionnels où s’imposent à la fois leurs fortes individualités et une puissante choralité. Si le collectif et le partage règnent en maîtres dans Omma, c’est que la troupe formée avec jubilation et choyée par Josef Nadj se montre débordante de ressources, d’élans tantôt terrestres, tantôt mystiques.
Les corps ondulent, chahutent, cahotent, dans une recherche éminemment spirituelle de quête libératrice. Le mouvement souple et nerveux, détonnant et audacieux, ne supporte aucune fixité mais au contraire abonde en balancements, en bondissements. Au geste s’adjoint le son. Sans jamais prononcer un mot, les artistes donnent de la voix et cela passe par le cri, le chant, nécessairement dissonant. Ainsi une quantité d’onomatopées scandent la performance éructante. La musique – un montage rugueux et entêtant de morceaux de jazz noir-américain – invite au lâcher-prise les danseurs qui martèlent le sol comme ils tapent sur leurs propres corps devenus instruments de musique.
Josef Nadj pour qui la scène est nécessairement un espace qui favorise l’altérité, voulait travailler depuis longtemps avec des danseurs africains dans le but de créer un terrain d’échange entre son propre bagage de chorégraphe européen né en ex-Yougoslavie et la culture d’un autre continent. Le spectacle témoigne d’une rencontre qui a fort bien opérée. Dansé par des artistes originaires du Congo-Kinshasa et du Congo- Brazzaville, de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Mali et du Burkina Faso, et issus de formations et de parcours divers, entre les danses traditionnelles, classiques ou plus urbaines dont on trouve plusieurs traces au cours de la représentation, Omma se nourrit largement d’histoires, de cultures, d’imaginaires et de réalités différentes et en rend compte d’une manière plutôt allusive mais formidablement poétique. En filigrane, s’impose la conscience d’une condition sociale et humaine à transcender. Les dos souvent courbés des interprètes renvoient sans doute au laborieux travail dans les champs de coton et aux pratiques esclavagistes. La mort conclut la représentation mais la beauté et l’énergie, sauvages et entières, de l’ensemble de la proposition l’emportent haut la main.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
OMMA
Chorégraphie
Josef NadjInterprètes
Djino Alolo Sabin, Timothé Ballo, Abdel Kader Diop, Aïpeur Foundou, Bi Jean Ronsard Irié, Jean-Paul Mehansio, Marius Sawadogo, Boukson SéréCollaboration artistique
Ivan FatjoLumières
Rémi NicolasMusiques
Tatsu Aoki & Malachi Favors Maghostut, Peter Brötzmann & Han Bennink, Eureka Brass Band, Jigsaw, Lucas Niggli, Peter VogelRégie générale
Sylvain BlocquauxRégie son
ShoïCoproduction
Les Nuits de Fourvière, Festival International de la Métropole de Lyon | Les Théâtres de la Ville de Luxembourg | Le Trident, Scène Nationale de Cherbourg-en-Cotentin | MC 93-Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis | Charleroi danse, centre chorégraphique de Wallonie – Bruxelles | Le Grand Angle, Scène régionale du pays voironnais | Les Salins, Scène nationale de Martigues | Centre chorégraphique national de Tours / Thomas Lebrun (Accueil studio) | Théâtre des Quatre Saisons – Scène Conventionnée d’intérêt national «Art et Création»Soutiens
Ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de France | Région Ile-de-France | Angers – Centre National de Danse Contemporaine | CN D – Centre national de la danse | La Briqueterie – CDCN du Val-de-Marne | la Scène nationale d’Orléans | Teatroskop (programme initié par l’Institut Français, le Ministère de la Culture et le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères).MC93
Du 20 au 31 octobre 2021
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