Autour d’une histoire de poupée en silicone de fabrication industrielle destinée à combler notre besoin d’amour, la pièce d’Olivier Lopez développe un propos tout en finesse dans une esthétique à la fois simple et stylée.
On peut éprouver un certain plaisir à retrouver des formes de théâtre traditionnelles surtout lorsqu’elles sont conduites avec cette finesse. Rabudôru, poupée d’amour déroule chronologiquement l’histoire d’un couple que la vie place face à un dilemme : participer ou s’opposer au développement de la commercialisation d’une poupée en silicone conçue par la firme japonaise Rabudorû Industries. Une poupée plus vraie que nature destinée à combler nos besoins affectifs. Nora, dont le prénom ibsenien ne doit certainement rien au hasard, mène la contestations des salariés de l’usine, notamment en portant avec les autres employés un « chapeau-bite » rose et ridicule qui va faire les délices des médias. Son mari, Thierry, se laisse lui appâter par une promotion direction le service marketing de l’entreprise. Il faut dire que le couple attend un enfant et loge chez lui le père de Thierry, atteint d’une sorte d’Alzheimer. L’espace manque, les contingences financières contraignent les choix.
Nous voici donc lancés sur la thématique du devenir des idéaux quand ils se confrontent au réel et sur l’éternel pouvoir corruptif de l’argent. Rien de bien original à cela, ce qui n’empêche pas le spectacle de développer à travers cette histoire son esthétique propre, très aboutie. L’auteur, Olivier Lopez, est également metteur en scène de Rabudôru. L’exercice de la double fonction est parfois périlleux, mais il est ici fertile. A un texte d’apparence simple et plein de finesse répond en effet une mise en scène à la fois élaborée et pleine de simplicité.
Notons tout d’abord l’excellente distribution de ce spectacle. Les interprètes excellent chacun dans leur genre. Les personnages sont comme issus d’un autre temps qui reste le nôtre, de ces villes moyennes ouvrières où se nouent les plans sociaux qu’on ne voit qu’à la télé. Laura Deforge campe une jeune femme peu sûre d’elle d’abord, puis déterminée, combative et attentive à la fois. Alexandre Chatelin, grand maigre à la moustache IIIe République, dans des costumes flottants aux manches trop courtes, un jeune homme humble et attentionné, parfois l’air un peu benêt, qui se laisse griser par les mirages de la fortune. Moins réalistes, plus fantasques, Didier de Neck, un père aussi malade que fantaisiste, qui chante Brel et cite Shakespeare à tout bout de champ, et David Jonquières un surprenant médecin de village qui se métamorphose en chanteur en cuir fan de Johnny.
Sur le plateau, des rampes de projecteurs mobiles les accompagnent, à hauteur d’hommes et par leurs déplacements reconfigurent régulièrement les espaces. Deux caméramen qui filment les comédiens et un montage en direct enrichissent la représentation de champs de vision supplémentaires sans happer le regard. L’accompagnement sonore, léger et original, combinant musique acoustique et électro, donne une véritable signature à cette esthétique qui jongle avec talent entre différents registres de jeu.
Dans cette organisation scénique aussi riche que fluide, rien n’est souligné, le sens respire, reste ouvert. On traverse les horizons de notre insatiable besoin d’aimer et les réponses qu’y apporte aujourd’hui la société. Tout en effleurements et en renversements qui stimulent la réflexion. On se laisse porter par l’histoire et surprendre par ses inattendus. Le spectacle se termine sur un message d’espoir que délivre Nora : « Un jour viendra, bientôt peut-être, où nos enfants seront fiers de ce que nous avons accompli ». On y soupçonne l’ironie. Note tragique portée avec humour sur l’état de notre monde, du début à la fin, Rabudôru aura fait dans la finesse.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Rabudôru, poupée d’amour
Écriture et mise en scène Olivier Lopez
Avec Alexandre Chatelin, Laura Deforge, Didier de Neck et David Jonquières
Collaboration dramaturgique Julie Lerat-Gersant
Assistante à la mise en scène Lisa-Marion McGlue
Création lumière Louis Sady
Création sonore Nicolas Tritschler
Costumes Angela Séraline et Carmen Bagoé (Atelier Séraline)
Décors et accessoires Luis Enrique GomezProduction La Cité Théâtre
Coproduction Le Volcan / Scène nationale du Havre, la Saison culturelle de la Ville de Bayeux, le Théâtre des Halles / Scène d’Avignon, l’Archipel / Scène conventionnée de Granville, DSN / Scène nationale de Dieppe, La Comédie de Caen / CDN de Normandie et Kinneksbond / Centre culturel Mamer (Luxembourg).
Avec l’aide de la Drac Normandie, la Région Normandie, le Département du Calvados la Ville de Caen et
l’ODIA Normandie.Durée : 1h35
Festival Off d’Avignon 2021
Théâtre des Halles, Scène d’Avignon
du 7 au 30 juillet à 14h (relâche les 13, 20 et 27 juillet)
Rabudôru, poupée d’amour est en effet une création remarquable tant du point de vue du sujet que de la mise en scène.
Qu’est ce qu’être un être humain dans son altérité et son rapport à l’autre?
Quelle place pour la lutte sociale?
Quelle image de la femme?
Quelle place accorde t’on à la vieillesse?
La mise en scène est originale, belle et adaptée à sa diffusion sans public dans la salle. Pour avoir découvert ce spectacle à travers un écran d’ordinateur, le résultat m’a bluffé en terme de résultat. A tel point que je l’ai vu plusieurs soir de suite avec le même enthousiasme.
Le metteur en scène et son équipe sont généreux. Ils ont créé des « bords tableaux » régulièrement avec le public pendant la pandémie.
Enfin, c’est une tragi-comédie accessible, tendre et drôle.
Merci aux artistes et aux techniciens pour leurs talents si essentiels à notre respiration.