Il y a, dans ce spectacle, une extravagance qui m’est propre. Un geste amplifié, une théâtralité outrée, qui me semble nécessaire tant le raisonnable contamine nos quotidiens et les plateaux de théâtre.
En lançant ce projet « éclair » avec Anette Gillard, il était question de nous saisir des sujets récurrents entendus pendant notre itinérance. Mais aussi, de les confronter à nos contradictions, nos certitudes. Ce qui a donné une forme hybride, où l’on retrouve le souci d’accessibilité d’Anette, faire entendre une langue pour toustes, et ma nécessité à rendre audible et visible l’artificialité humaine. Au départ dans la persuasion, le texte prend rapidement une tournure absurde, permettant aux acteurices de travailler l’essence même de la représentation : les codes de jeu et les artifices scéniques.
Le texte d’Anette Gillard est énigmatique. Il dépeint un cosmos dans lequel l’amour est contrarié, dans lequel les corps sont empêchés. L’espace semble épuisé, les déplacements impossibles : le dialogue est le moteur de l’action. Son écriture est résolument parlée, ce qui amène les acteurices dans une forme de rhétorique, iels cherchent à convaincre : à la fois les spectateurs et leurs camarades. Nous donnons à entendre plusieurs options possibles quant à l’amour. Et l’importance de cette confrontation, parfois virulente, est une manière de rendre compte des discussions passionnantes que nous avons eu au cours de notre itinérance. Son écriture est aussi bien exclamative que silencieuse, semblant pasticher les blancs et les trouées des nouvelles écritures dramatiques. Les personnages peinent à dialoguer : ils hurlent, vocifèrent, s’étouffent, pleurent et finissent par s’évanouir ou par attendre en silence comme démunis. L’exclamatif inscrit la difficulté à dire, à doser la loghorrée et le mutisme.
L’autre nécessité, qui nous a amené à la naissance de ce spectacle, était de porter au théâtre la culture queer, dont nous nous sentons très proche Anette et moi. À la fois d’un point de vue dramaturgique et d’un point de vue esthétique. C’est pourquoi, dans l’écriture, nous avons décidé de ne pas genrer les personnages et d’utiliser l’écriture inclusive. Ce qui pose une vraie question théâtrale : comment dire, comment prononcer ces mots nouveaux ?
Trois personnages attendent, on ne sait qui, on ne sait quoi. Dans un rapport à la théâtralité assumé, iels parlent de «plateau», «d’histoire à raconter», comme une sorte de mythe sur la naissance du théâtre afin de défendre leurs histoires singulières et en dehors de la norme, pour «se protéger». L’histoire semble absurde, hors de la réalité, hors du temps présent. Mais elle en est un écho. C’est pourquoi le traitement esthétique souligne cette absurdité : un décor blanc venant contraster des silouhettes colorées, comme si la lumière et les couleurs étaient un rempart de protection pour ces êtres.Mais vont-ils réussir à se défendre ?
Sacha Vilmar
Les Rats quittent le navire ou une histoire sans fin
de Anette Gillard, mis en scène par Sacha Vilmar, avec Fanny Colnot, Naëma Tounsi et Sacha Vilmar, costumes Charles de Vilmorin, maquillage Suzanne Devaux, création lumières et régie Christian PeuckertStrasbourg – 9>12 octobre à 20h30 et 17h le dimanche, Salle des Colonnes, Fabrique de Théâtre (10 rue du Hohwald)
Mulhouse – 5 novembre à 20h, Illberg
Freiburg – 19 novembre à 20h30, MensaBar, Mensa Rempartstraße
Lille – avril 2021, Théâtre des Passerelles
Lausanne – mai 2021, Théâtre Grange de Dorigny
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